"Nos élèves n’ont pas à chercher d’embauche. Ils ne connaissent pas le chômage, bien au contraire. On est très bien vus par les entreprises”. Christian Cachot est formateur en maçonnerie à l’Institut européen de formation des compagnons du Tour de France, situé à Mouchard. Les autres responsables de sections (couvreur, plâtrier, installateur sanitaire, charpentier, menuisier, ébéniste) pourraient en dire autant. “C’est un constat édifiant dit Hicham Bennani, le directeur de l’Institut. Les jeunes sont sollicités, je dois surtout être attentif à ce qu’ils finissent leur formation avant de partir”. Seule l’ébénisterie est d’accès beaucoup moins certain. Les meilleurs peuvent prétendre en vivre, mais les autres élèves de cette section se recyclent sans problème dans la menuiserie.
L’Institut est l’un des 3 réseaux de compagnons français, fondés sur une tradition d’apprentissage très ancienne, mais dont les méthodes de transmission de savoirs, de goût du travail bien fait et d’application donnent encore toute leur mesure. Régulièrement présentés aux concours des meilleurs apprentis de France, les élèves y récoltent les récompenses, comme les 5 médailles d’or obtenues l’an dernier en couverture. “La chance, c’est d’avoir parmi les enseignants 3 ou 4 meilleurs ouvriers de France. Quand vous avez 15 ans, votre motivation est de ressembler à cette personne pense Hicham Bennani. Nous encourageons beaucoup les jeunes à participer au concours de meilleur apprenti. C’est une culture de vouloir se lancer dans quelque chose de compliqué”.
Se former professionnellement
et humainement
Sous contrat avec l’Etat, l’Institut est considéré comme lycée professionnel et délivre des CAP, deux bacs professionnels et un BTS en collaboration avec le lycée du bois. Les élèves alternent séjours à l’Institut et stages en entreprise. Une semaine à l’institut comporte 40 h, 20 d’enseignement général et 20 de pratique dont beaucoup d’atelier. Ce rythme et l’exigence de qualité expliquent la sélection à l’entrée : dossier, lettre de motivation, test écrit, entretien oral. “C’est ce dernier qui compte le plus relate Emmanuelle Genet, membre de l’encadrement de l’Institut. On s’assure que le jeune ne s’est pas trompé de métier, qu’il est prêt à quitter sa famille, qu’il est motivé et n’a pas peur de l’emploi du temps”.
Pour ceux qui le souhaitent, des journées découverte sont organisées à la demande : il est possible de venir passer quelques jours dans l’organisme pour se rendre compte des conditions de vie et de travail et échanger avec les élèves. “En général, les jeunes qui arrivent ici sont motivés, ils viennent parfois de loin et ils savent pourquoi ils viennent confirme Abdelkarim Ben Lahbib, formateur en ébénisterie. On n’a pas trop à faire de discipline mais on se doit d’être présent tout le temps car les élèves peuvent nous solliciter constamment, week-ends compris”. L’ambiance studieuse n’empêche pas la bonne humeur qui règne dans les ateliers. Les formateurs sont eux-mêmes compagnons, le réseau est une grande famille dont l’un des principes est la transmission des savoir-faire.
“Les jeunes qui sortent d’ici ont une carte de visite reprend Hicham Bennani. Récemment, une entreprise m’a appelé pour en savoir plus sur la façon dont on les forme, professionnellement mais surtout humainement. Nous cultivons le travail bien fait mais aussi l’humilité”.
Le Tour de France,
accélérateur d'expérience
A l’issue de leur formation, les élève peuvent opter pour le Tour de France, sans obligation. Dans une carte de visite, ce fameux Tour, marque de fabrique des compagnons, joue un rôle important. La moitié des élèves s'y lance, tandis que 10 % entrent dans la vie active et 40 % poursuivent leurs études. Le principe : les futurs compagnons se rendent de ville en ville, à raison d’une par an, pour travailler à chaque fois dans une nouvelle entreprise. Cela leur permet de connaître différentes tailles d’entreprises, différentes méthodes et techniques de travail. Ce Tour se réalise au rythme de chacun, il peut durer 4 ans comme 10 ans, mais en moyenne, c’est 5 à 7 ans. Durant cette période, les élèves sont salariés des entreprises, nourris et logés, et suivent des cours du soir pour poursuivre leur apprentissage.
"Ils ont la certitude d’avoir non seulement un travail mais aussi un logement et une formation gratuite, ce qui est assez exceptionnel dans le système éducatif français" insiste le directeur de l’Institut jurassien. Au cours de ce Tour, les jeunes gravissent des échelons pour finir par la production de leur chef d’oeuvre final, par lequel ils deviennent compagnon. “Après ça, ils peuvent tout faire dans leur branche et accéder à des responsabilités assez jeune” signale Christian Cachot. Lui-même garde un souvenir ému de son Tour de France : “Si je pouvais le refaire, je recommencerais sans hésiter. C’est une expérience de vie aussi bien au niveau du métier que sur le plan humain. Et c’est un accélérateur d’expérience”.
Stéphane Paris
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