Le juge d'instruction est un magistrat qui assure la direction des enquêtes criminelles.
Pour déterminer si un crime a été commis et rechercher son éventuel auteur, il dispose de pouvoirs importants qui peuvent restreindre la liberté ou le secret de la vie privée des gens. Il s'occupe essentiellement des crimes au sens juridique du terme, c'est-à-dire des infractions passibles de plus de 10 ans d’emprisonnement. Il peut aussi être chargé d'affaires complexes, souvent longues à résoudre, dans le domaine du trafic des stupéfiants, de la bande organisée ou des infractions économiques, financières et politiques.
«Dans le ressort du pôle de l'instruction de Besançon (la moitié du Doubs, le Jura et la Haute-Saône) une part importante de l'activité des trois juges d'instruction que nous sommes est consacrée aux affaires sexuelles. Parmi les affaires en cours à mon cabinet, j'enquête sur une vingtaine de viols ou agressions sexuelles, essentiellement intrafamiliaux, une dizaine de meurtres ou assassinats, 6 ou 7 trafics de stupéfiants, 6 vols à main armée, plusieurs homicides involontaires, quelques affaires médicales et financières».
L’enquête
«Le juge d'instruction est indépendant, ce qui lui permet de mener son enquête en toute sérénité, sans risquer d'obéir à des ordres qui seraient contraires à la manifestation de la vérité ou à l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Sa mission commence lorsque le procureur de la République décide d'ouvrir une information judiciaire qui a pour effet de lui confier la responsabilité de l'enquête. Je dispose d'un temps plus long que le procureur pour tenter de comprendre les circonstances de commission d'un crime et d'approcher au plus près la vérité, en enquêtant tant sur les faits que sur la personnalité du ou des auteurs.
Étant en charge d'environ 90 dossiers, et ne pouvant pas moi-même effectuer tous les actes utiles à la manifestation de la vérité, je délègue sur commission rogatoire mon pouvoir d'enquête à un service spécialisé de police ou de gendarmerie. Dans une enquête, de meurtre par exemple, c'est une centaine de personnes que je peux faire entendre en tant que témoins sur les faits auxquels ils auront pu assister ou sur la personnalité d'un suspect. J'utilise également les traces et indices retrouvés sur les lieux du crime ou sur le corps de la victime en confiant à des experts la mission de me renseigner sur leur origine ou sur l'identité de la personne qui a pu les laisser. Je fais appel à beaucoup de disciplines scientifiques : génétique, médicale, toxicologique, dentaire, etc».
Mise en examen
Lorsqu'au terme des investigations il existe des indices graves ou concordants laissant penser qu'une personne a commis le crime ou le délit grave, le juge d'instruction procède à sa mise en examen en la faisant comparaître devant lui.
«Cela signifie, non pas qu'elle est coupable, mais qu'on lui reproche officiellement des faits pendant toute la durée de l'enquête. Bien que mise en examen, la personne est toujours présumée innocente, jusqu'à ce qu'elle soit éventuellement jugée. En réalité, c'est un statut protecteur: cela signifie que l'intéressé peut être assisté d'un avocat pendant toute la procédure, qu'il peut avoir accès au dossier et demander à ce que des actes d'enquête soient faits pour organiser sa défense. A partir du moment où il est mis en examen, seul le juge d'instruction peut l'entendre. Mon devoir est d'instruire à charge et à décharge, l'avocat de la personne mise en examen étant là pour y veiller. D'ailleurs, si l'avocat se rend compte qu'il y a des erreurs dans la procédure ou s'il veut obliger le juge à faire des actes malgré son refus, il peut saisir la chambre de l'instruction composée de magistrats plus expérimentés au sein de la cour d'appel».
Régime de contrainte
Une fois le suspect mis en examen, le juge d'instruction peut décider de lui appliquer un régime de contrainte pendant la suite de l'enquête. Il s’agit soit d’un contrôle judiciaire avec des obligations à respecter en liberté, soit d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, soit d’une mesure de détention provisoire.
«C'est l'application d'un principe de précaution destiné à préserver aussi bien l'efficacité de l'enquête que la sécurité des biens et des personnes. Si la personne mise en examen ressortait libre, sans obligation à respecter ou sans aller provisoirement en détention, le risque serait grand qu'elle fasse disparaître des preuves, qu'elle se concerte avec d'éventuels complices, qu'elle fasse pression sur des témoins ou sur la victime, ou pire encore qu'elle commette le même crime ou délit que celui qu'on lui reproche. C'est pour cela que dans les cas les plus graves, la loi prévoit que le juge d'instruction puisse saisir un autre juge appelé juge de la liberté et de la détention, qui a un regard extérieur sur l'affaire, et qui est seul habilité pour décider si la détention provisoire est indispensable pour prévenir les risques évoqués. Son avis peut être différent du mien ou de celui du procureur qui s'exprime également sur ce point lors d'un débat contradictoire. C'est important car cela évite que le juge d'instruction utilise l'emprisonnement comme moyen de pression pour obtenir des éléments de preuve dans son enquête. Quand on décide d'un régime de contrainte, on cherche à trouver le juste équilibre entre deux éléments : la nécessité de favoriser la réinsertion sociale de l'intéressé et le risque qu'il fait courir à la société. C'est une interrogation permanente de la justice, tournée à la fois vers le passé et vers l'avenir. Il faut avoir cette évaluation pour déterminer s'il s'agissait d'un acte ponctuel ou s'il y a un risque de récidive. En sachant que plus une personne est insérée, avec un emploi et une situation stable, plus la probabilité est faible qu'elle réitère une infraction».
Lorsqu'une personne est mise en examen, seul le juge d'instruction peut l'interroger, en présence de l'avocat et du greffier, qui note sur un procès verbal les déclarations de l'intéressé. Les policiers ou gendarmes ne peuvent plus procéder à des auditions
en garde à vue.
«Entre la mise en examen et le dernier interrogatoire, il se passe du temps. Une personne est en moyenne entendue 4 ou 5 fois, plus si nécessaire, par le juge. Le temps qui s'écoule entre les interrogatoires peut parfois aider la personne à prendre conscience de son acte, à se mettre à la place de la victime, notamment lorsque des soins psychologiques ou psychiatriques sont mis en place.
Je reçois également les victimes pour recueillir leur témoignage et leur donner des informations sur l'état d'avancement des investigations. Lorsque j'estime que l'enquête est terminée, que les faits m'apparaissent clairs et la personnalité de la personne mise en examen suffisamment décrite, je communique le dossier au procureur de la République pour qu'il formule une proposition d'orientation judiciaire. Il peut proposer au juge d'instruction - on dit «requérir» - de rendre une décision de non-lieu à poursuivre, s'il n'y a pas suffisamment d'éléments contre la personne mise en examen, ou, si les charges sont suffisantes, et en fonction de la gravité de l'affaire, de renvoyer la personne mise en examen devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises.»
Apartir du moment où le juge d'instruction rend sa décision, que l'on appelle ordonnance, il est automatiquement dessaisi de l'affaire. Cela signifie qu'il a rempli sa mission et qu'il ne pourra pas faire partie de la juridiction qui décidera, au terme d'un procès, si la personne est coupable ou non des faits qui lui sont reprochés et lui infligera une peine.
Temps judiciaire
«On entend souvent dire que les enquêtes du juge d'instruction sont longues. En moyenne, le temps de l'enquête est d'un an en matière délictuelle, 18 mois en matière criminelle. Mais le temps judiciaire permet de ne pas se précipiter, de chercher à comprendre en profondeur ce qui s'est passé et de resituer les faits dans le vécu, le parcours de vie, parfois difficile, du mis en cause. Mon objectif est de faire l'enquête la plus complète et la plus précise possible pour permettre à la juridiction de jugement
d'être parfaitement éclairée sur les circonstances du passage à l'acte, et pour apporter aux victimes, dont la souffrance est souvent extrême, le maximum de réponses à leurs interrogations.
Évidemment, le temps de l'enquête ne colle pas au temps médiatique. Mais la justice revendique d'être le mieux informée possible pour éviter de se tromper et pour pouvoir individualiser la peine en fonction de la personne qu'elle doit juger. Le risque d'erreur judiciaire existe car il est parfois très difficile d'approcher au plus près la vérité. C'est bien parce que notre système judiciaire admet ce risque d'erreur qu'il prévoit la possibilité pour une personne d'avoir des recours, de faire appel des décisions, voire de saisir la cour de cassation ou encore la cour européenne des droits de l'homme, si elle s'estime victime d'une erreur. Si l'on réduit trop le temps de l'enquête, comme le législateur pourrait parfois être tenté de le faire pour apporter une réponse de plus en plus rapide aux actes les plus graves, on augmente le risque d'une réponse judiciaire inadaptée».
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