"S'il est une chose à proscrire du vocabulaire aujourd'hui, c'est la classification imbécile proposée aux jeunes Américains des années 60, selon laquelle il faudrait distinguer les drogues dures des drogues douces, classification qui n'en est pas une mais qui induit de fait le partage entre ce qui est doux... bon... bien... permis, légal et ce qui est dur... mauvais... mal... illicite. Il n'y a pas d'échelle de valeur dans les toxicomanies comme dans les produits dont la toxicité tient à la nature du produit, à sa concentration d'alcaloïde, à la quantité des prises, à leur répétition et surtout à la personnalité de l'utilisateur. La définition de l'Office mondial de la santé globalise suffisamment la définition de la toxicomanie pour que l'on puisse y inclure toutes les substances chimiques ou naturelles que l'on appelle des drogues et qui sont des modificateurs du comportement. Modificateurs du comportement dans un premier temps puis modificateurs de la personnalité après une imprégnation suffisamment longue. Il importe peu, pour prendre en compte une toxicomanie, que le produit utilisé soit licite ou illicite, ce qui est important ce sont les effets sur l'utilisateur. Une toxicomanie, c'est la manie des toxiques stupéfiants ou non - permis ou non. Les drogues «modificateurs du comportement» vont de l'alcool à l'essence en passant par l'héroïne, bien malin celui qui serait capable d'établir dans la multiplicité des produits une classification par ordre de danger.
Un individu, un moment, un produit
Cette sentence du docteur Olivenstein résume assez bien la situation. Une toxicomanie serait la rencontre entre un individu, un moment de la vie de cet individu... et un produit. La conjonction de ces trois éléments serait nécessaire pour qu'une toxicomanie s'installe. En effet, un individu non motivé ou attiré par l'usage de la drogue peut refuser s'il se trouve au contact avec celle-ci, l'affaire sera sans résultat. Le même individu dans une phase perturbée ou non de sa vie peut avoir momentanément envie de faire usage d'une drogue. Il peut alors se mettre en situation de se procurer de la drogue, soit d'aller la chercher lui-même, soit se trouver au contact de relations qui lui favoriseront l'expérience. Nul ne pouvant augurer de l'impact qu'une expérience peut avoir sur les sens et l'esprit d'un expérimentateur... il est évident que ce type d'aventure peut être un voyage sans retour. Dans le cas où notre curieux ne croise pas le produit, l'envie passant ou la raison l'emportant (il est très difficile de dire non au copain qui tend le joint), l'expérience n'aura pas lieu. Ces situations d'expérimentation sont de plus en plus fréquentes en raison des quantités de cannabis proposées sur le marché. Ces situations se présenteront à l'adolescent dans une partie de sa vie où il est particulièrement fragile, avec une physiologie particulière et une psychologie propre. Le jeune n'est pas un adulte en miniature. Ces situations se présenteront de la manière la plus banale qui soit... la plupart du temps, c'est le copain de collège ou de lycée qui propose gratuitement une cigarette de «shit» (cannabis). Les adultes qui se comportent comme des autruches acceptent avec complaisance le terme de drogue douce pour le cannabis et se rassurent en banalisant dans leurs propos et dans leurs jugements l'usage d'un produit qui est bien celui du début, bien qu'il n'y ait pas de passage obligatoire d'un produit à un autre.
Les jeunes, faute d'information, ne savent pas que l'usage d'un produit comme le Lannabis est un délit. L'usage de ce produit est d'autant plus dangereux qu'il est banalisé, les effets en étant cachés par simplification. La quantification des usagers de cannabis comme des autres drogues est très difficile à réaliser. Si l'alcool et ses retombées sont facilement quantifiables en raison de la légalité de l'usage du produit, il n'est pas possible de compter les morts de la drogue d'une manière fiable... Qui va compter au terme d'une toxicomanie d'une dizaine d'années les morts par suicide, par septicémie, par le SIDA?
Le « H », une drogue dite douce
La connotation pseudo-écologiste qui transparaît au travers du mot «herbe» attire au détriment de l'alcool certains vers l'usage de cette forme de plante... Cependant, l'idée que le shit (cannabis sous forme de résine) est moins dangereux que l'alcool est complètement erronée et les résultats à moyen terme s'équilibrent. La banalisation de l'usage du cannabis se traduit par le comportement volontairement provocateur de certains déviants dont certains, qui bénéficient d'une certaine notoritée dans le monde artistique, n'hésitent pas à se montrer un joint en main. Ce que tous ces provocateurs n'expliquent jamais au jeune qu'ils troublent, ce sont les effets insidieux et sournois du produit. En effet une fois la fumée respirée, l'alca-loïde du cannabis, le cannabinol, va cheminer jusqu'au cerveau qui est sa cible... Ce que l'on ne dit pas, c'est que, pour quelques heures de désinhibition ou de rire, le produit va continuer à faire son effet d'une manière active jusqu'à cinquante-sept heures et que l'organisme mettra jusqu'à quatorze jours pour faire le ménage dans toute les cellules qu'il a imprégnées. Bien sûr, la durée de vie et les effets du pro-duit varient avec chaque utilisateur, mais aucun ne sait réellement quel est son seuil de saturation.
Quel est le jeune qui accepterait aujourd'hui de respirer les gaz d'échappement d'une voiture, car il sait, en effet, ce que pollution veut dire. Or, en matière de drogue, le cannabis est un des produits qui s'élimine le plus difficilement de l'organisme et qui pollue à long terme le cerveau de l'utilisateur. Alors, pour une drogue dite douce, elle semble bien vicieuse, et ses effets bien peu pris en considération. Par ignorance et par facilité, certains pays ont «dépénalisé» l'usage du cannabis car les beaux esprits pensaient rationnellement que l'interdit porté sur l'usage de ce produit inci-tait les jeunes à le transgresser... On connaît bien les attraits du fruit défendu... Cependant, contrairement à toute attente, on a vu le nom-bre des utilisateurs augmenter d'une manière excessive il a bien fallu constater que l'interdit retient plus d'individus qu'il n'incite à agir.
Une période vulnérable : l'adolescence
Si notre attention se fixe sur le cannabis, c'est qu'il est bien la drogue du début, c'est que, quantitativement, il est le plus répandu et le plus souvent proposé à l'adolescent. Ce dernier n'est pas méfiant car il vit des rapports avec la drogue qui ne sont pas ceux des adultes. Pour lui, le cannabis n'est pas de la drogue et lorsque le joint lui est proposé, c'est dans son environnement de jeune par un autre jeune qu'il connaît, admire, aime ou côtoie journellement. Le joint, c'est aussi le copain qui le propose et à qui il est difficile de dire non. Le jeune n'imagine absolument pas que, lorsqu'il achète une barrette de cannabis, il participe à un moment ou à un autre, à la prospérité du trafiquant... Il ne sait absolument pas qu'en s'imaginant accéder à la liberté, en transgressant un interdit, il accède peut-être à l'inverse, c'est-à-dire à la dépendance. Cette dépendance, il est incapable de la voir, de la ressentir car dans son environnement le copain fumeur habituel de cannabis n'a ni l'allure ni le comportement d'un toxicomane, tel que l'imagerie d'Epinal a pu lui montrer. Faute d'information réelle sur les dangers des actes qu'il commet, il peut hypothéquer pour une dizaine d'années son existence. Alors, entre la mode du moment, la pression du groupe, le goût de l'interdit ou l'absence de barrière, il faudra que le jeune puisse faire un choix conscient et soit capable de refuser, ce qui n'est pas évident dans un contexte où l'on est si tributaire des autres.
Le trip , la défonce, la fête
Le langage est aussi significatif de la représentation qu'on se fait de la drogue. Dans les années 70, on parlait du «trip» , c'est-à-dire le voyage, la découverte, l'initia-tion un peu culturelle, mystique... Dans les années 80, on a utilisé le terme «défonce» pour s'abstraire de la société, ne plus y participer. C'est la négation. Depuis 1990, les jeunes parlent de «se faire une fête». Avec un shoot , avec n'importe quoi. On ne dit plus un joint mais un pétard, ce qui est bien rattaché à la notion de fête. Il y a aujourd'hui une sorte de recherche de justi-fication : au nom de quoi on empêcherait quelqu'un de faire ce qui lui plaît? A quelles fins? A quel titre? On veut faire croire que la liberté c'est faire ce qu'on veut de son corps. On rentre dans cette philosophie du droit au plaisir indivi-duel, quitte à hypothéquer son avenir. Or, partout où on a dépénalisé la drogue, il n'y a plus eu aucun frein dressé contre le phénomène.
Le syndrome amotivationnel du cannabis
Le cannabis va activer la sphère de la récompense, sentiment de satisfaction qui vient normalement à l'issue d'un travail intellectuel ou physique réalisé. C'est la récompense d'un travail fourni. Avec les progrès de la biologie, on sait tout cela aujourd'hui. Le cannabis va introduire un déséquilibre de la chimie du cerveau. Il va actionner la pompe à récompense.
Pourquoi faire un effort, j'ai une récompense sans effort. Cela va produire une rupture déjà au point de vue scolaire. Très sournoisement, l'individu va être rendu inapte à toute forme d'instruction et de socialisation. On va repro-cher au jeune son absence de motivation, de travail. Il va trouver cela injuste car il est sous l'effet du produit. Automatiquement, on a un individu qui va se marginaliser. La proportion est plus importante chez les jeunes originaires des situations à risques.
L'offre crée la demande
A partir de l'après-guerre, les structures «mafieuses» se rendent compte que c'est le placement le plus rentable. La drogue, c'est de l'argent. C'est un phénomène économique qui répond aux lois de l'offre et de la demande. On rentre dans le circuit très classique : production, distribution, consommation. C'est le produit qui coûte le moins cher à la production et qui rapporte le plus à la vente au détail. C'est quelque chose de fabuleux au niveau de la rentabilité. Il faut lutter sur la production, la distribu-tion et la demande. Tant qu'on ne mettra pas en rapport ces trois éléments, soyons réalistes : ce sera le tonneau des Danaïdes !
Etre toxicomane, c'est être dépendant
On a toujours tendance hypocritement à traiter ce qui est le plus flagrant, le désordre le plus apparent. C'est le cas des toxicomanies très visibles, celles qui laissent des traces, celles des déchéances rapides. Celles que l'on prend moins en compte, ce sont les intoxications lentes, souvent les plus difficiles à identifier et à traiter. Au niveau de la prévention, il faut s'attaquer au produit le plus sournois, celui dont on se méfie le moins mais qui installe néanmoins une réelle toxicomanie. La répression ne résoud pas tout. On ne peut pas mettre un flic derrière chaque personne. Il faut travailler sur l'information. Le jeune doit apprendre à dire non en tout état de cause. On ne pourrait proposer à un gamin de mettre son nez sous un pot d'échappement sans obtenir un refus. Il va falloir arriver à ce même type de réaction face à un certain pro-duit ou certaines propositions ou incitations. Le jeune doit avoir le droit de dire non. Il faut qu'il comprenne qu'il aliène une partie de ses facultés. Certes l'aliénation est plus ou moins marquante mais elle est réelle et elle est quantifiable. La cible des toxiques c'est le cerveau. C'est une véritable pollution du cerveau par des produits chimiques".
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