29 août. 18h30. Ma journée se termine enfin, le dos douloureux et les mains tailladées. Je me lève difficilement de ma chaise, essuyant les dernières gouttes de sueur sur mon front. Dans le hangar, la température affiche 37°C et le taux d'humidité atteint les 85%. Les quelques douze milles feuilles cueillies à la main et pendues au plafond font obstacle à la lumière du jour. Le résultat de six semaines de récolte intense, qui se concluent par un sentiment de soulagement.
Pour un citadin, le rythme de vie à tenir n'est pas toujours facile. Oubliées, les grasses matinées et les soirées prolongées d'été. Dès 7 h 30, notre patron nous dépose dans le champ encore humide de la rosée du matin. Quatre longues heures tantôt accroupi, tantôt assis à sillonner l'étendue de verdure. Ma musique dans les oreilles me permet de faire abstraction des conditions de travail difficiles, payées à peine plus du smic. Le travail est minutieux : les feuilles mûres, au jaune caractéristique situées sur la partie basse du pied, sont prêtes à être récoltées. Muni de ma cisaille, je coupe et récupère "l'or vert" en tachant de ne pas abîmer la plante, bien enracinée mais néanmoins fragile.
Avec l'avancée de l'été, le champ se mue en une jungle plus ou moins ordonnée, les plants de tabac mesurant jusqu'à 2,50 m et les feuilles atteignant 80 cm de circonférence. Après trois à quatre passages pendant la période de la récolte, les troncs se dénudent, laissant apparaître une trace de sève noire et collante le long du pied.
Sous la chaleur écrasante de l'après-midi, mon objectif est d'enfiler à une poutre en bois toutes les feuilles ramassées le matin. La tâche, répétitive et contraignante, consiste à faire passer un fil dans le pétiole de chacune d'elles. Une machine rouillée venue d'une autre époque permet de les suspendre à 15 m de hauteur. Un travail à la chaîne peu intellectuel nécessitant agilité et dextérité pour suivre la cadence imposée par la mécanique. Heureusement, le petit poste radio et la franche camaraderie permet d'apprécier les heures interminables à répéter les mêmes gestes.
Le soir venu, une fois la remorque vidée de sa cargaison de verdure, la douche est une rédemption : plus de goudron collant les doigts à s'en arracher les ongles ; finie la terre sablonneuse qui s'incruste dans les pores de la peau ; la crème antidouleur ressuscite le corps et l'esprit. La liberté retrouvée, je rejoins d'autres cueilleurs des villages alentours autour d'un barbecue bien mérité, au rythme des hits du moment avec vue sur les Alpes suisses. Malgré la bonne humeur, les festivités ne s'éternisent pas, tous conscients que la même journée épuisante nous attend dès le lendemain.
Fin août, la saison se termine pour moi, cueilleur de tabac. Mais une nouvelle étape commence pour les feuilles, teintées d'ocre et entièrement asséchées. Encore un mois de séchage, avant d'être vendues aux grands fabricants de tabac, pour quelques euros le kilo seulement.
Vincent Bourquin
Commentaires
Afin de poster un commentaire, identifiez-vous.