Au bord de l’Alène, Amalia Molina s’approche de la berge pour désigner une branche sciée. La marque est celle d’un castor. L’indice de la présence de l’animal est plutôt une bonne nouvelle. C’est l’une des espèces indicatives de la qualité du milieu. Depuis 2018, la rivière retrouve une partie de son fonctionnement naturel. Amalia travaille au parc naturel régional du Morvan, au sein du pôle environnement sur la protection des ressources naturelles. Avec son collègue Fabien Sève, elle a particulièrement suivi le programme de restauration des rivières du bassin versant de l’Aron, dont l’Alène est un affluent.
« Ici, dans le Morvan, nous sommes en tête de bassin versant de deux grands cours d’eau, la Seine et la Loire. On travaille sur ce bassin versant depuis 2011. C’est celui de "Loire-Bretagne". A une époque, il y avait des saumons qui remontaient jusqu’à Luzy ». En 2018, la situation a pris un tour nouveau avec la création de la compétence Gema (1) que les élus locaux ont choisi de transférer au PNR du Morvan.
« Avant ça, il n’y avait pas de gestionnaire sur le grand cycle de l’eau » signale Amalia. Un programme d’action de 3,5 millions d’euros sur 6 ans pour préserver les milieux aquatiques a été financé en majeure partie par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne et la Région Bourgogne-Franche-Comté. L'Alène faisait partie du programme. Sur une longueur de 2 km en amont de Luzy, une partie du chantier a consisté à refaire les méandres qui avaient été détruits au début des années 70. Autrement dit défaire les modifications artificielles de la rivière pour la rapprocher de son état initial.
L’Alène, comme beaucoup d’autres rivière en France, avait été rectifiée. De nombreux cours d’eau ont été rendus rectilignes et canalisés. Les raisons étaient nombreuses : gagner des terres sur les zones humides, éviter les débordements notamment. Aujourd’hui, les hydrobiologistes sont d’accord : c’est le fonctionnement naturel d’un cours d’eau qui est le plus efficient, en particulier pour l’état des nappes phréatiques. L’artifice n’améliore rien, au contraire. Alors ils préconisent de défaire et refaire, notamment en reméandrant. Certains estiment même qu’il faudrait ramener les cours d'eau au plus près de l’état sauvage et ne plus intervenir, laissant la nature se réapproprier le milieu. Mais ce n’est pas possible partout. Chaque rivière est même un cas spécifique.
Courbes et ripisylve
« La meilleure façon d’aider la rivière, c’est de remettre des courbes, de protéger ses berges décrit Amalia Molina. Ici, on a posé des fascines, aménagement végétaux qui protègent temporairement les rives. On a relancé la dynamique de la ripisylve (végétation de rive)
avec des plantations. C’est très important, car elle consolide les berges, lutte contre l’érosion, favorise la filtration, apporte un ombrage qui préserve de la chaleur. Pour éviter qu’elles soient détériorées, on a installé des clôtures et des abreuvoirs ». Pour finir, un sentier de promenade ou une Aire terrestre éducative avec parcelle gérée par des élèves permettent de sensibiliser et impliquer le public.
« C’est très apprécié des habitants » estime-t-elle.
Retrouver la continuité écologique
Un peu plus loin, l’Alène traverse Luzy. Au milieu de la commune, il a été décidé de supprimer un seuil (ou obstacle) qui rehaussait la ligne d’eau.
« Il appartenait à un moulin abandonné. On a décidé de l’effacer, sans supprimer la chute d’eau naturelle. Mais le seuil maçonné faisait 1,50 m. C’était infranchissable pour les poissons. C’était un véritable obstacle à la continuité écologique, à savoir le transit piscicole et le transit sédimentaire. Cela créait une retenue, avec des eaux stagnantes, plus réchauffées et moins oxygénées, donc moins favorables à la diversité des espèces. Et cette dégradation avait également un impact en aval ».
Les travaux ont eu lieu en 2021. Depuis,
« on retrouve une rivière un peu plus vivante. En un an et demi, à cet endroit, elle s’est déjà revégétalisée naturellement. En amont, rapidement après avoir été reméandrée, l’Alène a apporté des sédiments bénéficiant aux berges. Comme les 2 zones d’intervention sont proches, les effets de l’une et de l’autre se sont bonifiés sur le tronçon. Après ces travaux, l’idée est de laisser la rivière faire son travail et reprendre ses droits ». Coût des projets : 170 000 euros pour les travaux dans le bourg, 134 000 en amont.
La continuité écologique faite partie des nombreux paramètres en jeu, dont la température et la qualité de l’eau.
« Pour l’instant, on ne note pas d’amélioration. La population de poissons continue à diminuer. Plus au nord dans le Morvan, où il y a du relief, les rivières se portent un peu mieux. L’Alène est encore dans un état médiocre. Mais elle récupère sur le plan morphologique, elle est en phase de régulation ».
Le réchauffement climatique a lui aussi des conséquences sur la température de l’eau ou sur la baisse des débits en raison de l’évapotranspiration. Si la restauration des rivières permet de réajuster le débit, l’écoulement et surtout les échanges avec la nappe phréatique, elle a peu d’effets sur la qualité de l’eau elle-même.
« On note des taux de phosphore élevés, on ne sait pas pourquoi… Mais on travaille aussi avec les communes sur le zéro phyto, on accompagne les agriculteurs dans leurs changements de pratique pour que les produits n’arrivent plus dans les rivières et pour créer des conditions de pâturage qui restent satisfaisantes pour eux » ajoute Amalia en citant l'initiative
Patur'ajuste, qui cherche justement à créer les conditions d'un pâturage satisfaisant pour les agriculteurs et l'environnement
. La restauration d’une rivière est un effort à paramètres multiples que le parc entend poursuivre. Cette année, il a 4 projets de continuité écologique dans le sud Morvan et une vingtaine de mares à restaurer.
S.P.
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