Quelles que soient les explications, il est un point sur lequel les observateurs et professionnels de santé s’accordent : il y a actuellement, en France, un relâchement en matière de pratiques de prévention liées au sida. Le nombre de personnes nouvellement dépistées est plus important en 2005 qu’en 2004 et l’on note parmi elles une augmentation de la proportion des hétérosexuels et à un degré moindre des homosexuels. Seul le public toxicomane semble s’en tenir à la plus élémentaire prudence. Autrement dit, c’est l’utilisation du préservatif, unique moyen de prévention efficace dans le cadre de relations sexuelles, qui semble en cause, ce que confirme l’évolution d’autres MST comme la syphilis. Valérie Prieur, coordinatrice régionale d’Aides, a pu constater le phénomène : “J’ai la sensation que les gens sont bien informés mais qu’il y a un ras-le-bol par rapport au préservatif, une envie d’avoir des rapports sans. Une sorte d’incompréhension, de colère par rapport à l’idée qu’il faut toujours faire attention, qu’il y a une impossibilité de liberté sexuelle complète. Et puis il y a toujours ce moment de l’acte sexuel : dans l’action on n’y pense pas ou on ne sait pas trop comment et à quel moment en parler”.
Faut-il croire que lorsque la probabilité de décès était grande, la vigilance était de mise et qu’il a suffi que les progrès médicaux redonnent une espérance de vie aux séropositifs pour que la prudence s’éloigne? Les progrès des traitements tiennent en effet lieu d’explication principale dans le relâchement. Pour ceux qui suivent de près la maladie, c’est un leurre. Parce qu’il n’existe toujours pas de guérison possible. Les médicaments se prennent à vie. Le suivi médical et tout ce qu’il implique comme contraintes est lui aussi régulier. “Et on vit en permanence avec cette idée du sida en tête prévient Patrick, séropositif. Les médicaments viennent sans cesse nous rappeler sa présence. C’est pesant.”
D’autant que ces médicaments à prendre continuellement ne sont pas toujours sans effet secondaire. Georges, autre séropositif récent, ajoute qu’il est “extrêmement difficile de se faire à cette idée. C’est synonyme d’inquiétudes, de psychose. Au moindre toussotement, au moindre mal de tête, on se dit “ça y est”... C’est très anxiogène”. Même le traitement à prendre dans les quarante-huit heures après un risque de contamination n’est pas une alternative crédible au préservatif. “D’abord, il faut effectivement commencer le traitement dans les 48 h prévient le docteur Catherine Courtieu, du centre de dépistage anonyme et gratuit de Besançon. Ensuite, c’est une trithérapie de 3 semaines très très lourde qui empêche le virus de s’installer dans l’organisme. Je ne pense pas que ça puisse inciter au laisser-aller. Il vaut mieux l’éviter”.
Patrick insiste : “d’accord il y a des traitements. Mais les gens n’ont pas forcément conscience de tout ce que cela implique. Le monde médical devient beaucoup plus présent dans notre vie”. Et, en l’état actuel des choses, c’est à vie.
“On ne vit pas
normalement”
Si les traitements ont rendu la vie des séropositifs moins difficile comparativement à ce qu’elle était aux débuts de l’épidémie, ce n‘est pas le cas des relations sociales. Vivre avec le VIH est toujours compliqué. Brutal même. “Quand j’ai su que j’étais séropositif, j’ai appelé ma soeur dit Patrick. Elle m’a répondu : chacun reste chez soi et ce sera très bien comme ça”. Georges a connu le même rejet : “J’ai voulu être franc avec mon employeur. Comme par hasard, à la fin de mon dernier contrat, il n’avait plus rien à me proposer. Quand je vais le voir, il ne m’offre même plus de café. Ou alors il me le sert dans un gobelet en plastique. En fait, on peut vivre sans le dire. Je pense qu’aujourd’hui, je ne le dirais plus”.
“Tous les témoignages que l’on a vont dans ce sens résume Valérie Prieur, la coordinatrice d’Aides en Franche-Comté. Ceux qui en parlent ont systématiquement des soucis après, quel que soit le milieu. Les employeurs ont peur de futurs arrêts de travail mais aussi de la maladie elle-même qui mêle les tabous de la mort et de la sexualité. Et aussi peur de la contamination, de manière irrationnelle”.
Reste le besoin pour les personnes atteintes de se confier, les problèmes psychologiques, l’idée d’accepter la maladie. “Je vois un psychiatre une fois par semaine. Je ne peux plus dormir sans somnifère, j’ai des crises d’angoisse. Et heureusement, il y a l’appui psychologique, le réconfort apportés par Aides” dit Patrick. Mais on ne peut pas dire qu’on vit normalement”. “Ce n’est vraiment pas évident constate Valérie Prieur. Il y a une image noire de l’avenir, une difficulté à faire des projets même si aujourd’hui, quand on est séropositif, il y a un avenir”.
Restent aussi les relations sexuelles, pour lesquelles le secret n’est pas de mise. “Si l’on continue à avoir des relations sexuelles, elles s’accompagnent inévitablement de la pensée de contaminer l’autre, de le faire mourir. Ou alors il faut vivre avec un séropositif”. “Beaucoup préfèrent l’abstinence signale Valérie Prieur. Mais il ne faut pas oublier le désir d’enfant des femmes. Aujourd’hui, c’est possible suivant certains critères mais avec un suivi sous protocole très précis et intensif, que ce soit le père ou la mère qui soit séropositif”.
Stéphane Paris
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