Le contexte général de la production agricole en Europe de l'Ouest est en train de profondément changer : l'accroissement de la productivité à l'hectare, objectif traditionnel, est remis en cause par la saturation des marchés, la maîtrise de l'environnement, l'amélioration de la qualité des produits, la gestion de l'espace rural deviennent les maîtres-mots du cahier des charges de l'agriculture. Prenons l'exemple de la culture du blé aujourd'hui (la même démonstration pourrait s'appliquer aux productions fourragères, maraîchères, fruitières ou autres). L'objectif en céréaliculture est, d'obtenir le rendement maximum permis par le milieu physique. Pour ce faire, les agriculteurs disposent depuis les années 70 des moyens de maîtriser la majorité des facteurs limitant la production : les mauvaises herbes (désherbants), les insectes parasites (insecticides), les maladies (fongicides), la verse (régulateurs de croissance), la nutrition azotée (méthode des bilans avec des règles de fractionnement de l'engrais). Le dernier facteur limitant de la production reste alors, le fonctionnement de la photosynthèse (transformation de substances chimiques ou organiques grâce à l'énergie solaire). Pour accroître au maximum cette photosynthèse, il est ainsi conseillé d'avancer la date des semis et d'augmenter les densités des semis.
On surdose
Conséquences? Les semis denses développent les risques de maladies cryptogamiques et de verse : les semis précoces (octobre pour le blé) accroissent les attaques de pucerons et de piétin-verse. Conséquence des «conséquences»? Pour pallier à ces inconvénients, les agriculteurs ont recours au désherbage de prélevée, à une protection fongicide accrue, et souvent, à un insecticide d'automne. Les rendements augmentent mais les marges brutes des agriculteurs plafonnent.
En matière d'engrais, le choix de l'agriculteur est très simple : il ne sait pas quel sera le climat de l'année, ni donc si celui-ci sera favorable à un rendement élevé et à une dose d'azote en conséquence. Par contre, il sait que la perte financière est environ huit fois plus élevée si la fumure appliquée est inférieure à l'idéal de 40kg/ha que si elle lui est supérieure d'autant. Ainsi, on surdose, et chaque fois que le climat ne permet qu'un rendement moyen ou médiocre, une partie de l'engrais inutilisée est potentiellement polluante. La même technique est employée pour les insecticides, les fongicides ou les régulateurs de croissance ! Schématiquement, les systèmes de culture actuels sont considérés comme satisfaisants, s'ils autorisent un rendement jugé correct. C'est la course au rendement, dès lors que le rendement est jugé trop faible par rapport à celui obtenu par les voisins, ou dans des expérimentations dont l'agriculteur a connaissance. Ainsi l'agriculture ne pratique pas un contrôle quelconque de ses productions.
Dans ces conditions, elle ne saurait être « reproductible » indéfiniment. De nouveaux systèmes de culture sont à mettre en place, ils doivent être moins polluants, mieux raisonnés en fonction de la qualité du produit récolté mais rester économiquement rentables. Si l'agriculture biologique peut, pour certaines exploitations, répondre à ces conditions, cela ne peut constituer une solution pour la grande masse des agriculteurs. Pour que la baisse de la production n'entraîne pas une baisse de marge pour l'exploitation, elle doit être accompagnée d'une diminution substantielle d'engrais, fongicides et pesticides. Des expériences menées dans ce sens existent, elles ont les résultats escomptés. Mener à bien cette évolution, suppose une mobilisation conjointe de la profession agricole, de ses partenaires économiques, des pouvoirs publics et de la recherche. L'encouragement à la mise en place de labels - garantissant le produit ou le mode de production - est, sans doute une voie à explorer. L'illusion du « tout chimique» se dissipe. Il faut l'amorcer le plus vite possible tant que les dégâts inéluctables restent limités.
Propos recueillis par Joseph Doillon
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