Le jeudi soir, la fac descend sur la ville. Sur la route, une étape, supermarché ou débit de boisson. Le temps de remplir quelques sacs à dos de boissons alcoolisées et direction le centre. Depuis quelques temps, Besançon est à l’image des autres villes étudiantes, lieu de beuveries généralisées en fin de semaine.
Les étudiants ont toujours été adeptes de soirées alcoolisées. Mais les évolutions récentes alarment médecins et autorités. Il ne s’agit plus de boire pour l’aspect convivial ou pour se désinhiber. Il s’agit d’arriver le plus vite possible à l’ivresse. Un défi connu sous le nom de binge drinking, francisé en biture express, où l’alcool n’est plus un moyen mais un but.
«C’est un phénomène récent, constate Corinne Lesueur-Chatot, directrice du service universitaire de médecine préventive. Chaque génération a sa façon de consommer. Les jeunes de maintenant n’ont pas les mêmes habitudes que leurs parents. Actuellement, c’est la «défonce rapide», avec des mélanges d’alcools ajoutés à d’autres produits pour que ça aille plus vite».
Une mode accentuée par Internet et les réseaux sociaux, pas seulement parce qu’ils répandent les pratiques plus efficacement.
«Cela permet d’organiser les choses rapidement, de se retrouver facilement» explique Rémy Chapelain, attaché de direction à l’Anpaa Doubs (association nationale de prévention en alcoologie et addictologie). Et d’être nombreux au courant.
«Il faut voir ce que c’est le jeudi soir s’exclame Carole Ousset, directrice du service des correspondants de nuit de la Ville de Besançon. Des groupes de 20, 30, 40 voire beaucoup plus qui déambulent en ville avec les conséquences qu’on peut imaginer : agitation, nuisances sonores, troubles, incivilités, bagarres». Habituellement, un binôme de médiateurs de nuit est présent. Le jeudi, la Ville a souhaité le doubler.
«Notre rôle est d’apporter une présence apaisante et régulatrice, faire de l’information et de la prévention. Mais à partir d’une certaine heure, quand tout le monde est alcoolisé, ce n’est plus pertinent face à l’importance des groupes et aux mises en danger inquiétantes auxquelles on assiste. En fin de soirée, il n’y a plus d’autre choix que la répression».
"Des jeunes tombent à l'eau"
Pour faire face aux cas graves, la Ville a également décidé de faire venir un médecin au commissariat. Le phénomène préoccupant a suscité la création d’un groupe de travail et de réflexion. Il rassemble Ville, police, préfecture, associations de prévention. Le choix de la rue s’explique par le nombre des participants, la recherche de l’ivresse et la nécessité de diminuer le coût des quantités ingurgitées. Du coup, tous les risques liés à l’alcool sont multipliés, de la santé des buveurs aux dangers du volant en passant par les problèmes de comportement. D’autres viennent moins immédiatement à l’esprit mais commencent à interpeller :
«des jeunes tombent dans l’eau, il peut y avoir des noyades indique Rémy Chapelain. Dans le Nord, il y a peu de temps, on a même évoqué un tueur en série alors que l’alcool était responsable».
Problème : un manque de conscience des risques de la part des jeunes. A Besançon, l’Anpaa a mis en place un
partenariat avec le commissariat. Il permet de proposer à certains une alternative à l’amende : 3 rendez-vous de bilan, de prévention et d’information.
«Pour nous, c’est un nouveau public, très jeune, en 1re ou 2e année de fac décrit Rémy Chapelain. En général, ils viennent pour ne pas payer l’amende, mais en colère, ne voyant pas pourquoi ils sont là. Et finalement, ils repartent contents».
Evidemment, les étudiants ne sont pas les seuls à boire.
«D’après les échos que l’on a de la part d’éducateurs, il y a également un phénomène d’alcoolisation plus fréquent dans les quartiers, notamment le soir dès qu’il fait beau» relate Rémy Chapelain. En milieu rural, rien de nouveau :
«il y a une tendance traditionnelle à boire et parce que les cafés sont souvent les seuls lieux de vie».
Jean-Marie Cumy, directeur de l’Anpaa Haute-Saône le confirme,
«les difficultés par rapport aux jeunes sontliées à la fréquentation des lieux festifs, avec deux aspects : la sécurité routière mais aussi un comportement addictif qui m’inquiète». À Belfort, son homologue Olivier Herren a immédiatement en tête les deux «pics» des Eurockéennes et du Fimu.
«Aux Eurockéennes, un certain nombre d’initiatives ont amélioré les choses, mais au Fimu beaucoup de jeunes finissent dans des états avancés».
Prise de conscience incertaine
Ces dernières années, les actions en matière de prévention et répression ont eu leurs effets, la diminution du nombre de morts sur les routes en témoigne.
«Un grand nombre de personnes a pris conscience des risques. Mais il reste les irréductibles qui se sentent invulnérables et qui continuent à prendre le volant alcoolisés. Lorsqu’on fait des contrôles préventifs en discothèque ou dans les fêtes de villages, certains ne prennent même pas la peine d’écouter. Ce qui donne les faits divers comme celui de Chelles il y a quelques jours : on boit, on prend quand même le volant et on tue 3 personnes» se désole Jean-Marie Cumy.
Hormis pour la route, la prise de conscience est moins facile.
«Les jeunes commencent à s’initier à l’alcool dès le collège, au risque de développer une dépendance psychologique, surtout chez ceux qui supportent mieux. Dans l’ensemble, ils en parlent de manière naturelle, sans sentiment de gravité ou de danger. On banalise les produits et leur,consommation alors que c’est mortel à haute dose».
À Belfort, l’Anpaa est de plus en plus sollicitée pour des phénomènes d’alcoolisation dans le cadre des établissements scolaires.
«Ce n’est pas nouveau mais cela semble prendre de l’ampleur note Olivier Herren. Et surtout, l’on observe des consommations avant d’aller en cours». Lui aussi remarque une initiation dès le collège,
«là où les repères sont adoptés par rapport au groupe de copains et non plus par rapport aux parents comme c’est le cas en primaire. L’influence agit aussi bien en termes de vêtements que d’alcool».
Hypocrisie de société
Mais la jeunesse a bon dos. L’alcool est omniprésent dans la société. Tout laisse croire qu’il s’agit d’un produit de consommation courante. La loi Evin interdit la publicité… sauf pour un bon nombre de supports. La loi Bachelot du 21 juillet 2009 l’a même modifiée pour inclure Internet parmi les supports admis. L’alcool, «drogue culturelle», produit de consommation légal et même fleuron de l’agriculture française, demeure sujet d’une véritable hypocrisie. Il suffit de lire l’
article L3323-9 du code da la santé publique qui révèle à quel point prévention et tradition ne font pas bon ménage :
«Il est interdit d’offrir gratuitement à volonté des boissons alcooliques ou de les vendre contre une somme forfaitaire, sauf dans le cadre de fêtes et foires traditionnelles ou lorsqu’il s’agit de dégustations en vue de la vente». Où l’on voit très clairement ce qui est visé et ce qui ne l’est pas. L’interdiction de vente d’alcool aux mineurs reste aujourd’hui diversement appliquée, faute de contrôles . Comment ne pas mentionner non plus la mode des alcopops, prémix et vinipops, boissons alcoolisées très sucrées et colorées dans le but de plaire aux jeunes.
«C’est clairement fait pour les capter le plus tôt possible, les habituer et les inciter à évoluer vers les boissons alcooliques traditionnelles» dit Rémy Chapelain. Un phénomène d'escalade commun à toutes les drogues.
Stéphane Paris
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