En arpentant la tourbière, Pierre Durlet s’approche d’une zone relativement sèche, sur une ancienne carrière de tourbe.
« Ici, vous êtes sur une usine à gaz » annonce le chargé de mission milieux naturels du parc naturel régional du haut Jura en indiquant le sol. A cet endroit, la zone humide a été « dégradée » par l’action de l’homme. A l’état naturel et stable, une tourbière piège et stocke le carbone. La modification de cet écosystème engendre l’effet inverse : le gaz est libéré dans l’atmosphère et contribue au réchauffement climatique. Ce qui se produit aujourd’hui est le résultat d’une exploitation de plusieurs siècles : extraction de la tourbe pour le chauffage, drainages et rectifications de cours d’eau à des fins d’assèchement, remblaiements, plantations… Actuellement, le dysfonctionnement des tourbières représente 5 % des gaz à effet de serre dans le monde. Si l’on se rend compte aujourd’hui des erreurs passées, Pierre Durlet n’accuse pas.
« Les personnes qui ont exploité la tourbe ont du mal à comprendre que c’est inexploitable. Ce n’est pas simple de leur dire qu’on doit reboucher un fossé creusé pour rectifier un cours d’eau ou neutraliser un drain. On ne peut pas leur en vouloir car ils ont passé leur vie à essayer de rentabiliser ces parcelles ».
Programme Life
Il est question d’arrêter le processus, comme essaie de le faire un programme européen Life de réhabilitation des tourbières. Parfois c’est trop tard. Pierre Durlet indique la crête qui marque la frontière suisse.
« De l’autre côté, entre Neuchâtel et Lausanne, il y avait une grande zone de tourbière. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Même chose dans les Landes ». Mais les opinions évoluent.
« Si certains ont encore un a priori sur une idée qu’ils considèrent « écologiste », je remarque une grosse différence chez les élus entre le début du programme et aujourd’hui. Je n’en rencontre plus qui disent que ce que l’on fait ne sert à rien ».
Le début du programme Life date de 2014
(voir notre article "Préservons nos tourbières"). Au bord du lac des Rousses, les travaux ont commencé en 2018, sur une tourbière de 200 ha, l’une des plus grandes du Jura. Les cours d’eau qui traversent la tourbière ont été remis dans leur tracé naturel, les anciennes fosses d’exploitation régénérées par inondation, afin de remonter le niveau de la nappe phréatique et de retrouver la saturation en eau typique d’un tel écosystème. Au milieu du site, très spongieux, la tourbière commence à retrouver un équilibre.
« On ne parle pas de restauration, mais de réhabilitation précise Pierre Durlet.
On ne retrouvera jamais l’état antérieur à l’exploitation. Et plus on en est éloigné, plus le processus est difficile à relancer. On ne peut pas tout rééquilibrer, mais au moins, on a relancé une dynamique et des processus qui sont lents ».
Pour l’impact global,
« il est important de créer un effet de masse », d’où l’importance du 2e programme Life. Au bout du compte, 115 tourbières auront fait l’objet de travaux en deux fois 7 ans. Soit plus de 50 % des surfaces locales.
« En ce qui concerne la France, c’est un programme unique. Par ailleurs, la complémentarité des acteurs engagés, à savoir le PNR, les Epage (1), le conservatoire d’espaces naturels et la réserve naturelle du lac de Rémoray ont rendu les travaux plus efficaces ».
La donnée « réchauffement climatique » a certainement eu ses effets. Mais Pierre Durlet refuse de s’en tenir à cette seule cause. Les tourbières représentent aussi un patrimoine naturel local à préserver et un paysage très particulier (les programmes Life incluent la création de sentiers découverte balisés). Elles hébergent une faune et une flore très spécifiques.
« Elles ne sont pas riches en diversité d’espèces, mais hébergent des espèces qui ne sont présentes que là. C’est donc également un fort enjeu par rapport à la biodiversité ». Elles constituent également des archives précieuses pour les scientifiques. Elles jouent enfin des rôles importants pour l’eau, en terme de régulation, filtration, épuration. Les sauvegarder n’offre que des avantages. Pour un coût somme toute modique : le premier programme Life dans la région a atteint le budget de 8,5 millions d’euros, soutenu à hauteur de 40 % par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, opérateur incontournable dans ce domaine. A peu près l’équivalent d’1 km d’autoroute.
S.P.
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