Depuis l’an dernier, l’association Synusie eau présente une conférence intitulée « Et au milieu coulait une rivière ». Elle est axée sur le fonctionnement naturel d’un cours d’eau de type méandreux et sur les conséquences des rectifications opérées par l'homme. « On ne parle pas d’assainissement, de pesticides ou d’impact agricole » précise Jean-Noël Resch. On parle de méandres et de leur importance capitale, notamment vis-à -vis de la sécheresse.
Vous montrez notamment que la rectification des rivières est une cause majeure de l’assèchement des cours d’eau. Est-ce que ça surprend ?
Oui, mais pas de façon négative. Ce que l’on ne souhaite pas, c’est que les gens pensent que l’unique responsable du manque d’eau est le réchauffement climatique. Dans ce cas, il n’y aurait pas grand-chose à faire. Or ce n’est pas le cas. La première cause de détérioration, c’est bien les actions anthropiques. Les sols sont imperméabilisés, les zones humides drainées et les cours d’eau rectifiés pour évacuer toute l’eau le plus rapidement possible à l’aval, plutôt que d’être stockée dans les sols et recharger les nappes phréatiques. Bien sûr, le réchauffement climatique fait empirer les choses car un milieu dégradé souffre encore plus. Mais dans un fonctionnement naturel, un cours d’eau a une capacité de résistance beaucoup plus forte. Tout ce qu’on a fait pour détruire le milieu a un impact beaucoup plus important. Si on annulait le réchauffement climatique, les rivières n’iraient pas mieux. Elles iraient un peu moins mal !
Certaines notions peuvent paraître contre-intuitives. Notamment qu’il y a peu de lien entre précipitations et sécheresse.
S’il ne pleut pas, il y a bien sécheresse. Néanmoins, les relevés pluviométriques et les modèles climatiques montrent qu’il n’y a pas forcément de modification quantitative dans les précipitations annuelles. Par contre, la répartition n’est plus la même et on a des crues plus fortes et des étiages (1) plus sévères, auxquels s’ajoute l’augmentation de l’évaporation due au changement climatique. Dans ces conditions, si on ne permet pas aux cours d’eau de déborder pour tempérer les crues, ils rechargent moins les nappes phréatiques et c’est de l’eau qui ne sera pas disponible en été. Par ailleurs, quand elles se produisent, les inondations ont un impact plus important. Un milieu qui fonctionne bien agit contre les inondations.
Le public n’est-il pas étonné d’entendre qu’il faut laisser déborder une rivière ?
Quand on explique, il accepte plutôt bien. Avec l’apparition de la compétence Gemapi (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), on espère que ça va entrer dans les esprits. Les méandres, les échanges avec la nappe phréatique sont vraiment essentiels. Une rivière respire en débordant et quand elle le fait, elle recharge la nappe phréatique.
Stocker l’eau en grande quantité à l’exemple des mégabassines n’est pas une solution ?
Un cours d’eau qui fonctionne bien n’est ni plus ni moins qu’une mégabassine naturelle avec de l’eau que l’on peut prendre quand il le faut et sans détruire la biodiversité. Retenir l’eau artificiellement n’a pas de sens par rapport à l’idée de restaurer le milieu, qui est beaucoup plus efficace.
Vous préconisez de restaurer et reméandrer. Mais cela a un coût.
Cela peut sembler cher, mais si on compare au coût d’une autoroute, d’une aire de jeu, ça ne l’est pas. C’est une question de choix.
Est-ce qu’on retrouve cette problématique ailleurs ? Est-ce qu’il y a un consensus scientifique sur le sujet ?
En Europe, oui, on retrouve cette situation fréquemment. Sur le fait que le fonctionnement naturel d’une rivière est optimal, les hydrobiologistes sont plutôt unanimes. On essaie d’insister sur la prise en compte de l’ensemble des fonctionnalités d’un cours d’eau pour avoir un impact significatif. Cela nécessite de s’appuyer sur le fonctionnement naturel, mais pas seulement. Pour retrouver de la biodiversité, cela ne suffit pas car la qualité de l’eau entre en jeu. Or un cours d’eau est le réceptacle de tout ce qui se passe autour. On peut restaurer un cours d’eau, mais pour avoir une restauration complète de l’écosystème, c’est une autre paire de manches ! Ce qui n’empêche pas qu’il faut des travaux ambitieux.
Est-ce que l’impact est rapide ?
Ça peut mettre 5 à 6 ans pour que la rivière se stabilise. L’une des premières que l’on a reméandrée était le Drugeon dans le haut Doubs. Lors de la sécheresse de 2018, on a observé que c’était l’une des seules rivières qui coulait encore, sauf à deux endroits, l’un sur une zone non reméandrée, l’autre en aval d’un étang. Ce n’était pas basé sur des données scientifiques, c’était uniquement de l’observation, mais c’était assez fort.
Peut-on généraliser ces travaux ?
Ce serait bien mais c’est complexe car chaque cours d’eau est particulier et parfois on ne peut pas. Dans une ville, il n’est pas possible de restaurer les méandres. On est souvent confrontés à la problématique foncière. Il faut convaincre chaque propriétaire de parcelle, ce qui n’est pas simple. Quand ça bloque, c’est rarement technique, souvent foncier. Mais je veux préciser qu’on ne jette pas la pierre à ceux qui ont fait des travaux à une époque où l’idée était de nourrir la France. C’était de bonne volonté, mais les conséquences, c’est maintenant qu’on les voit.
Recueilli par S.P.
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