L’alarme a sonné depuis quelques années. En France comme ailleurs, les populations d’abeilles diminuent, depuis deux décennies. Le phénomène s’est accentué ces derniers temps avec des taux de surmortalité de 30 à 35 %, pouvant atteindre 50 % de pertes hivernales.
«C’est un souci constaté au niveau mondial» rappelle Frédéric Mora, entomologiste au conservatoire botanique de Franche-Comté.
«Avec des régressions d’abeilles sauvages, dont font partie les bourdons, et des disparitions d’abeilles domestiques qui peuvent être brutales puisqu’elles concernent parfois 100 % d’une ruche».
Les causes sont encore mal connues ou plutôt elles sont multiples.
«Parfois la mortalité est complètement différente à quelques kilomètres de distance. Parfois les ruches redémarrent. Il y a un faisceau de causes diverses et de facteurs croisés». Pesticides, pollution, génétique, parasites, virus, changements des contextes saisonniers, simplification des milieux, intensification de l’agriculture et même le frelon asiatique sont plus ou moins responsables.
«En ce qui concerne les abeilles sauvages, la simplification des habitats est la principale cause. En Franche-Comté, nous avons encore la chance d’avoir des milieux pas si mal que ça». Mais la région n’échappe pas non plus aux hécatombes.
«Nos abeilles vivant en milieu urbain semblent moins fragilisées que celles du monde rural» note Frédéric Maillot, technicien animalier à la Citadelle de Besançon. L'insectarium de la Citadelle entretient des ruches et le syndicat apicole du Doubs constate la meilleure santé de leurs habitantes que celles de la campagne. A moins qu'elles ne soient exposées à des produits moins nocifs.... Toujours est-il que la production nationale apicole de l'année 2014 a été la plus faible jamais enregistrée.
40 % de l'alimentation
est concernée
L’abeille est fragile, et indispensable. Elle est le principal insecte pollinisateur, ces derniers assurant les ¾ de la reproduction des plantes. Cela concerne le colza comme, la pomme, le melon, les carottes, les salades ou les fraises. Au total, 40% de notre alimentation dépendrait de l’insecte. Un calcul évalue à près de 3 milliards la valeur de leur acivité.
«Il y a des zones aux Etats-Unis où les agriculteurs sont payés pour polliniser eux-mêmes, afin d’avoir des pommes !» illustre Frédéric Mora.
Autre élément important,
«l’abeille intervient comme sentinelle et donne l’alerte pour les atteintes à l’environnement et la biodiversité. Elle est l’avant-garde de l’humain. Observer les troubles et les mortalités des colonies d’abeilles, et surtout chercher à en comprendre les causes, c’est protéger la santé publique et le milieu dans lequel vivront nos enfants». Ces lignes sont issues
du plan de développement durable de l'apiculture du ministère de l'Agriculture, établi en 2012. Depuis, peu d'évolution à noter. Alors que l'alerte est donnée depuis longtemps, les Etats-Unis viennent de lancer un plan d'action pour sauver les abeilles. En Europe, un moratoire (c'est-à-dire une interdiction temporaire) de 2013 s'oppose à l'utilisation de certains pesticides dans certains cas. Il ne concerne que quatre molécules, qui peuvent de toute façon être utilisées sur les céréales d'hiver. Les populations d'abeille continuent de diminuer et le moratoire arrive à terme à la fin de l'année. La France, elle, a décidé de le prolonger et l'étendre à d'autres substances, visant particulièrement les néonicotinoïdes, neurotoxiques lancés au milieu des années 90. Cette décision fait partie d'un nouveau
plan national d'action. C'est déjà le deuxième en 2 ans. Les fabricants de produits phytosanitaires sont contre.
Les défenseurs des abeilles le trouvent timide, même s'ils admettent que leur combat est reconnu, surtout après un amendement adopté en mars par l'Assemblée nationale interdisant les néonicotinoïdes à partir de janvier 2016. L'Union nationale de l'apiculture française admet des
"annonces encourageantes mais attend des précisions pour évaluer l'ampleur des avancées". Signe le plus positif, outre l'extension du moratoire :
«la confirmation de la demande d’accélération de la réévaluation scientifique auprès de la Commission européenne par l’Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments (AESA)».
Mais le syndicat reste prudent. il rappelle que malgré les déclarations,
"la France continue de délivrer des autorisations de mise sur le marché à plusieurs pesticides contenant des néonicotinoïdes (Luzindo à base de thiaméthoxam sur la vigne, Sonido à base de thiaclopride sur le maïs, Suxon Forest à base d'imidaclopride sur les pins, etc.)." L'Unaf continue à demander leur interdiction, avec celles d'autres substances de cette famille, reconnues très dangereuses pour les abeilles et demeurant sur le marché, telles le thiaclopride ou l’acétamipride. Le plan national prévoit d'autres mesures plus anecdotique : fauchage tardif sur les routes nationales, encouragement des jachères fleuries. De ce côté, l'Unaf attend
"un engagement de l'agriculture dans des pratiques véritablement respectueuses de l'environnement tout en restant aussi performantes en matière de rendement : rotation des cultures, diversités des plantes cultivées, agroforesterie, etc".
Stéphane Paris
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