Il pleut toujours autant en France. Il y a même eu, selon les relevés de Météo France, plus de précipitations annuelles pendant la période 1991-2020 qu’entre 1961 et 1990, même si elles ne tombent plus de la même manière (1). Un raccourci lie sécheresse et réchauffement mais la chaleur n’empêche pas l’eau de tomber.
« La tendance est même que l’on ait à l’année une hausse des précipitations, avec plus d’humidité l’hiver et moins l’été » estime un technicien de Météo France.
« On irait de plus en plus vers des extrêmes secs/humides ». Le réchauffement a quand même une double incidence : plus d’évaporation et des sols qui retiennent moins l’eau.
« Une hausse de 1° augmente la capacité de l’air à stocker 7 à 8 % d’eau en plus. Et au passage, il faut signaler que la vapeur d’eau est un gaz à effet de serre… » En ce qui concerne le sol, il faut
« comparer à une éponge : plus il est sec, plus l’eau qui tombe ruisselle » avant de l’imbiber.
Autre donnée importante :
« 99% des surfaces de ripisylves (2)
d'Europe et plus de la moitié des zones humides ont disparu durant le dernier siècle » (3). L’association franc-comtoise Synusie eau utilise ces données pour montrer que la sécheresse provient pour beaucoup de l’état des rivières (
voir interview). Selon elle, les zones humides originelles occupaient 23 % du territoire. Aujourd’hui, le taux n’est plus que de 6 % (la moitié des zones détruites l’ont été entre 1960 et 1990 et 43 % de celles qui restent ont encore été dégradées ces 10 dernières années). Et si le réchauffement climatique renforce l’assèchement des sols, il n’en est pas la cause principale. Pour Synusie eau et d’autres hydrologues, ce qui a mené à la situation actuelle, ce sont surtout les modifications apportées par l’homme aux cours d’eau, en particulier aux XIXe et XXe siècles. Dans une thèse de 2021 (3), Marie Lusson rappelle qu’
« à la pollution s’ajoute l’ensemble des interventions anthropiques qui, depuis la construction de digues pour protéger des crues et de barrages pour produire de l’énergie, la chenalisation pour permettre la navigation ou l’évacuation des eaux, en passant par l’extraction de graviers pour la construction d’ouvrages, ont profondément modifié le fonctionnement des écosystèmes aquatiques ». D’autres actions comme l’imperméabilisation des sols ou le gain de terres agricoles ont eu leurs effets négatifs.
Idéalement, une rivière coule en méandres, a des berges peu marquées, sort de son lit
Au cœur du problème se trouve la modification des rivières. Sans entrer dans les détails, le schéma est le suivant : un cours d’eau naturel possède un équilibre dynamique et des échanges permanents avec sa nappe d’accompagnement. Quand il pleut, la rivière recharge les nappes, quand il ne pleut pas, la nappe alimente la rivière (en fonctionnement normal, la nappe joue donc un rôle majeur pour qu’il y ait encore de l’eau dans la rivière même s’il n’y a pas eu de pluie depuis plusieurs semaines). A proximité, le sol joue un rôle d’éponge, 1 m3 de terre pouvant contenir 300 l d’eau.
Idéalement, une rivière en plaine sort de son lit régulièrement et sa nappe d’accompagnement affleure. Plus un cours d’eau a de place pour déborder, moins il a d’énergie et donc moins la crue est destructrice - et la décrue est elle-même progressive. Les berges sont peu marquées avec peu de hauteur, contrairement à ce que véhicule l'image d'un "beau cours d'eau". La rivière coule en méandres. Ces éléments, et notamment l'affleurement de la nappe, sont très importants car ils permettent de stocker de grandes quantités d'eau quand il pleut et de les restituer doucement quand il ne pleut pas.
Souvent, ces éléments naturels ont été modifiés : les cours ont été rectifiés et rendus rectilignes, curés ; leurs profils modifiés en long ou en travers pour gagner des terres ou empêcher les débordements. Conséquences : ne pouvant déborder, la rivière « gratte » ses berges et le fond de son lit, s’enfonce avec sa nappe d’accompagnement, l’eau s’évacue plus vite. Elle est également beaucoup moins "stockée". Si l'eau est moins présente, moins longtemps, moins proche de la surface, le sol s'assèche plus facilement.
Parmi les conséquences annexes, un apport d’eau fraîche de la nappe phréatique moindre et des inondations plus grave car la rivière gonfle très vite et agit comme une chasse d’eau. Sans compter les effets sur le vivant dont l’habitat et les conditions de vie sont dégradées.
Une seule solution efficace, selon de nombreux hydrobiologistes : inverser totalement ce qui a été fait, reconnecter le cours d’eau avec ses berges, reméandrer pour ralentir l’évacuation de l’eau et la retenir. Ensuite,
« le cours d’eau ajustera par lui-même son gabarit d’équilibre et recréera ses habitats ; une zone humide se recréera spontanément car l’eau se rapproche de la surface du sol ». Un phénomène observé sur le Drugeon, l’une des premières rivières restaurées : depuis, la nappe est remontée de 20 cm, la biomasse de poissons a été multipliée par 1,7, la température de l'eau a baissé. Et le Drugeon continue de couler quand des rivières à proximité sont à sec.
Stéphane Paris
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