En France, la forêt va mal. Les salariés du parc naturel régional du Morvan sont au premier rang pour le constater. Sur un territoire couvert à presque 50 %, ils assistent en direct à une évolution qui associe température en augmentation, sécheresse accrue, incendies. Affaiblis, les arbres sont moins aptes à lutter contre les maladies ou les parasites et les coupes rases se multiplient. A tel point que le parc a demandé en vain au gouvernement puis au Conseil d’Etat de faire évoluer la réglementation sur ces coupes rases. Le souhait : qu’il y ait une phase préalable d’évaluation environnementale pour toute coupe supérieure à 0,5 ha. Le conseil scientifique du parc a démontré les risques de ces pratiques sur le paysage, l’eau, le sol et la biodiversité. Entériner le statu quo revient à ne pas tenir compte des changements et enjeux environnementaux alors que le parc souhaitait adapter la législation dans le but « d’améliorer et renforcer la résilience de nos écosystèmes forestiers ».
Points de vue divergents
« La forêt est un domaine très politique et conflictuel » fait remarquer Nicolas Blanchard, chargé de mission forêt-bois au PNR. Ce n’est pas nouveau. Au XVIIIe siècle, « le pouvoir royal tentait déjà d’enrayer la dégradation des espaces forestiers en promulguant des règlements limitant la fréquence et l’intensité des coupes de bois » écrit Hervé Le Bouler (1). Au passage, le code forestier qui rassemble les textes réglementaires et législatifs concernant la protection et la gestion des forêts est toujours celui de 1827. Selon le même auteur, au XIXe siècle, les forestiers de l’Ecole de Nancy étaient déjà en butte aux communautés rurales riveraines des forêts ainsi qu’au pouvoir politique et économique. En 1820, moment où la surface de la forêt française atteint son plus bas, les intérêts entre profit à court terme et gestion à long terme s’opposent. Un exemple, « les milieux industriels et en particulier les maîtres des forges sont hostiles à la conversion des taillis vers la furaie et reçoivent le soutien du ministère des Finances qui n’apprécie pas la baisse immédiate des revenus pour le Trésor public ». Au milieu du XIXE siècle, un nouveau point de vue apparaît, celui du tourisme en forêt qui veut un milieu qui doit rester « naturel ». Rien de nouveau sous le soleil donc, chacun veut la forêt dont il a usage.
Dans le Morvan, à la jonction de 4 départements, le PNR est au croisement d’intérêts divers et divergents. « La forêt rassemble des mondes qui parfois ne se comprennent pas reprend Nicolas Blanchard. Le parc a un rôle important à jouer pour arrondir les angles, car c’est de plus en plus polarisé. Comme une partie de la population redécouvre la forêt, il y a des néosylviens et des primosylviens ! Nous essayons de faire dialoguer les usagers, les gens en quête de connaissance, ceux que la forêt fait vivre, les néoruraux installés récemment. C’est très complexe. Par exemple, pour certains il ne faudrait pas couper de bois, pas exploiter alors que d’un autre côté il y a une demande de produits locaux, faits en France ». Dans son rôle de médiateur, Nicolas Blanchard explique que la forêt ne doit pas être systématiquement destinée à un rôle économique. « C’est une mosaïque qui demande une gestion associée aux pratiques sylvicoles. Le bois mort au sol ou sur pied sert la biodiversité. Les insectes le transforment en humus qui nourrit le sol ».
Ces divergences ne sont pas nouvelles, mais l’évolution du climat est venue ajouter un paramètre, de taille. « Aujourd’hui, le frêne et l’épicéa semblent condamnés et de toute façon, les forestiers n’en veulent plus car c’est trop de risque. On essaie de valoriser des peuplements mixtes et diversifiés, une forêt mélangée et étagée, pour avoir une résilience plus forte ».
Paysage défiguré
La forêt du Morvan est actuellement constituée à parité de résineux et de feuillus. Dans la forêt domaniale de Breuil-Chenue, des coupes rases défigurent le paysage. Certaines, par arrêté préfectoral, sont sanitaires, obligatoires pour freiner les ravages du scolyte. Mais il y a aussi des coupes d’exploitation. « Il y a 200 ans, il fallait 200 personnes pendant 4 mois pour cela. Aujourd’hui, il faut quelques jours pour transformer une parcelle. Ça peut être violent pour l’œil. Les gens évoquent des paysages lunaires, des champs de bataille, des saignées, des blessures, des cicatrices, c’est très corporel ! » Problème plus préoccupant, les engins lourds tassent le sol et abîment sa protection. « Il est lessivé, se minéralise, s’acidifie, perd en qualité et notamment sa capacité à séquestrer le carbone. Or plus une forêt perdure, plus elle capte du carbone. » Le libérer va, on le sait, dans le mauvais sens du réchauffement.
Aujourd’hui, la forêt morvandelle voit arriver des Douglas qui poussent bien, droit, donnent un bois de qualité exploitable rapidement. Ils remplacent les résineux qui ont eux-même pris progressivement la place des feuillus qui composaient le paysage il y a 60 ans. D’après les observateurs du PNR, les Morvandiaux vivent mal ces changements successifs associés notamment à la recherche de profit, à une artificialisation de la nature par des plantations en ligne, à des chemins abîmés, à de la pollution, à un sentiment dépossession.
On en revient à l’entente cordiale nécessaire. « Il faut mieux penser la forêt, en privilégiant les mélanges et la mixité des peuplements, avoir une structure forestière complexe, valoriser la futaie irrégulière insiste Nicolas Blanchard. Un beau mélange et une belle mixité sont possibles et ça fonctionne aussi pour l’aspect économique ».
Stéphane Paris
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