Quel que soit l’interlocuteur ou l’observateur professionnel interrogé, un constat semble unanime : en France, la santé mentale des jeunes se dégrade. En première ligne face aux situations les plus graves, à savoir les tentatives de suicide, les urgences hospitalières mesurent particulièrement l’ampleur de la situation. Au CHU de Besançon, la Pr Sylvie Nezelof, chef du pôle liaisons médico-sociopsychologiques et du service psychiatrie infanto-juvénile, estime que le chiffre a été multiplié par deux depuis le confinement.
« Ça correspond à une réalité locale, régionale et nationale. Il y a une réelle augmentation statistique. » Le marqueur du confinement met la pandémie en cause. « La pandémie Covid a été un facteur aggravant d’éléments de vulnérabilité ». L’indicateur du pourcentage de population touchée par un trouble dépressif publié par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques est révélateur. En 2014, les 15 - 24 ans et les 25 - 34 enregistraient les taux les plus faibles (4 et 5 %). En 2019, ils étaient au même niveau que les autres (autour de 10 %). En mai 2020, celui des 15 - 24 ans était monté en flèche jusqu’à 22 % et depuis il baisse mais en gardant un niveau bien plus élevé qu’en 2014.
« Mais, pondère Sylvie Nezelof, la crise Covid est un facteur parmi d’autres. Elle fait partie d’une ambiance d’insécurité globale sur les plans climatique, politique, économique. Les jeunes y sont sensibles et il ne faut pas oublier qu’ils sont aussi très sensibles à l’état de leurs parents et leur fragilité, notamment économique, leur rejaillit dessus. Chaque élément, comme la guerre en Ukraine, fait partie des briques qui s’ajoutent les unes aux autres. Cela donne un cumul avec beaucoup de points d’interrogation sur les perspectives d’avenir ».
Ce qui peut expliquer que les jeunes, déjà par essence dans une période de vulnérabilité et d’incertitudes, soient plus marqués que les autres générations. Avant la pandémie, Marie Rose Moro, professeure de psychiatrie universitaire et Jean-Louis Brison, inspecteur d’académie honoraire, publiaient Pour le bien-être et la santé des jeunes après un rapport demandé par François Hollande. Ils estimaient, en 2019, que « la période de l’adolescence, pourtant si charnière, est encore largement sous-estimée » et préconisaient des actions « pour repérer plus précocement et de manière non discriminante les signes de grand mal-être »(1).
Et maintenant, l’avenir incertain est pour eux. Il est placé sous le signe du changement climatique. « Cela les touche plus car ils sont clairement concernés confirme Emmanuelle Cheminat, écothérapeute à La Clayette. Certains ressentent même de la colère vis-àvis des générations précédentes." Non seulement je dois réussir mes études, trouver un job qui ait du sens, mais aussi sauver la planète " : cela, je l’ai déjà entendu ».
La colère est une réaction qui touche facilement les jeunes. « Elle peut être saine estime Charles Jacques, formateur en premiers secours en santé mentale, mais elle peut facilement se retourner contre soi. C’est un exutoire qui peut se transformer en violence ou en dépression ». Charles Jacques, devenu psychopraticien pour faire face à l’écoanxiété, confirme « que les jeunes sont les plus touchés » par ce nouveau mal-être. Preuve à l’appui, une étude internationale publiée par le journal scientifique The Lancet. Parmi quelques chiffres révélateurs, 75 % des 16 - 25 ans estiment que l’avenir est effrayant, 45 % que l’anxiété liée au climat a des répercussions sur leur sommeil, leur alimentation, leurs études, leurs loisirs, 39 % sont hésitants à l’idée d’avoir des enfants.
Face à l’avenir de la planète, pas de solution miracle en vue. Mais face à l’écoanxiété, les professionnels sont unanimes : en parler, agir à sa mesure, apprendre à vivre avec sans que cela prenne trop de place peuvent aider. Plus généralement, face aux problèmes de santé mentale : ne pas les garder pour soi, pouvoir en parler, réfléchir à comment être aidé. « Quand le monde ne va pas bien, il faut se dire que ce n’est pas moi qui suis fou et qu’il est plutôt normal de ne pas aller bien indique Charles Jacques. Cela étant, je pense que les jeunes ont moins peur de la stigmatisation qu’avant ».
L’entourage est là et le cas échéant, le réseau des Maisons des adolescents ou les psychologues représentent des réseaux de professionnels à qui s'adresser. Face à l’alerte, les organismes publics tentent de proposer des réponses. Des campagnes de prévention ont lieu. Dans la région, l’Ireps organise des ateliers de présentation d’outils destinés aux professionnels dont l’un porte sur la santé mentale des jeunes, en collaboration avec Rés’ado. Un plan de formation des citoyens aux premiers secours en santé mentale a été lancé. « Toutes les mesures préventives sont utiles si elles sont bien faites estime Sylvie Nezelof. Mais la difficulté, c’est de trouver, s’il y a lieu, les soins qui vont derrière. Et là, il faut dire qu'on est quand même face à une pénurie de personnels professionnels ».
S.P.
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