A l'époque d'un paradis perdu du business de la musique, celui qui voulait se procurer de la musique sans l‘acheter n‘avait que le moyen de la copier sur K7 audio. Cela prenait du temps, était artisanal, le son perdait beaucoup en qualité. Personne ne se souciait d'une pratique aussi illégale qu'aujourd'hui. Qu‘est-ce qui a changé ? La technologie. Elle donne accès à un stock inépuisable de produits sur Intemet alors qu‘auparavant l'amateur n‘avait que les disques de ses amis à recopier. Avec l'ordinateur, la copie est beaucoup plus rapide. Enfin le son est reproductible à l'identique. Les musiciens et les maisons de disques ont beau dire que le mp3, format le plus courant qui circule sur Internet, perd en qualité de son, le public ne s‘en émeut guére. D'ailleurs personne ne croit vraiment à cet argument pour inciter à acheter du CD.
Ce qui est vrai pour la musique l'est pour le cinéma mais aussi la littérature, la photo, les logiciels, les jeux vidéo, etc. Simplement la rnusique est le domaine où les choses ont évolué le plus rapidement et de la facon la plus névralgique et spectaculaire. En 2005, on a évalué les téléchargements sur Internet à 1 milliard de fichiers musicaux (mais la tendance est à la baisse, certainement en raison des dispositifs législatifs) contre 120 millions de films, 160 millions de logiciels, 30 millions de jeux vidéo. Résultat direct, les artistes sont aux abois, les maisons de disques gémissent et dégraissent. Tandis que la vente de disques continue de chuter - encore 40 % en moins ces deux derniéres années -, elles ont perdu près de la moitié de leurs emplois en 5 ans.
L‘industrie culturelle est un marché rendu instable par Internet.
«Cela a toujours été le cas lors de l'apparition de nouvelles technologies comme le disque ou la télé commente Nicolas Brisset, délégué regional de la Sacem.
Il y a toujours un temps de réaction, d'adaptation. Il ne faut pas s'en faire une montagne : Internet ne remet pas en cause le principe de la propriété intellectuelle. Mais avec ces nouvelles technologies, je pense que l’on va de maniére irréversible vers la dématérialisation des supports».
Il reconnaît cependant que
«les nouvelles générations ont du mal à comprendre qu'un auteur est propriétaire de son répertoire comme on peut l'être de son appartement. Pour y avoir accès, ilf aut l'acheter. ll ne faut pas oublier que non seulement les artistes doivent vivre mais aussi que Ia création a un coût pour eux».
Télécharger est facile, à portée de clic de n'importe qui. Mais si l‘on ne possède pas les droits de ce que l‘on acquiert, il s'agit encore, à l‘heure actuelle, de vol et de piratage. Et si l‘on copie, reproduit, vend, c'est de la contrefaçon.
Copie privée
Il y a une exception, celle de la copie privée : elle donne droit à chacun de reproduire ce que il s'est procuré légalement. Depuis 20 ans, cette possibilité est assortie d‘une taxe sur les supports vierges et les matériels servant à copier, reversée aux créateurs et servant à financer des manifestations culturelles. Ce n‘est pas anodin : en 2005, cette redevance a rapporté 155 millions d'euros. Or, là encore, la technologie est venue jouer au chamboule-tout. Avec les facilités et les qualités de reproduction, on s‘est mis à se demander jusqu‘où pouvait aller cette exception.
«Le code de la propriété intellectuelle le dit bien insiste David El Sayegh, du service juridique de la Sacem,
cela doit rester privé et graruit. Privé signifiant dans le cercle familial. De façon générale, la pratique est tolérée pour des amis proches».
«Tout dépend de I ‘utilisation que l'on en fait précise Nicolas Brisset.
Le probléme, c'est le volume. Quand on tombait sur 2 tonnes de K7 audio ou vidéo, c'était déjà de la délinquance».
Copier à tout va est donc prohibé. Mais si l‘on reste dans la mesure et la gratuité, la définition du mot privé n‘est pas réglée pour autant : pour certains l'utilisation de copies est strictement réservée à l‘usage du copiste, pour d‘autres elle s‘étend au foyer, pour d'autres à la famille au sens large, voire aux amis proches. Chacun y va de son interprétation : pour la Société civile des producteurs phonographiques, il s‘agit d‘un usage destiné à ceux qui habitent le foyer,
«pas les amis, pas les cousins».
Peer-to-peer
De toute facon, la copie «
pour d'autres que les proches et donc l'échange via les réseaux peer-to-peer est prohibée» précise David El Sayegh. Le peer-to-peer ou P2P, c'est l'échange de données entre plusieurs ordinateurs en réseaux. Il pemtet par exemple à un usager de proposer ses fichieis musicaux à tous les autres. C‘est la facon dont fonctionnent les célèbres kazaa et emule, les réseaux les plus utilisés, mais qui demeurent illégaux puisqu‘ils permettent de telécharger tout ce que proposent les autres sans payer, donc sans s'acquitter des droits. D'aprés David El Sayegh, il n'y a actuellement pas de réseau en peer-to-peer légal en France.
«Ce n’est pas le peer-to-peer en soi qui est illégal car on pourrait imaginer des réseaux de ce type qui respectent la légalité. Mais il faudrait qu'ils respectent un certain nambre de critères qui posent des problémes par rapport à la traçabilité des échanges, à la rétribution des compositions, à la répartition de la somme récoltée. Pour l'instant cela n'exisle pas».
Conclusion : en P2P, vous étes dans l'illégalité. Sauf...
Le gratuit
Sauf s‘il s'agit d'oeuvres libres de droits ou dont les auteurs ont accepté ce mode d‘échange (par exemple les creative commons, les logiciels libres de framasoft ou d‘open oflice...). Car il existe du gratuit tout à fait légal sur le net. Des sites qui proposent des produits libres, musique, mais aussi livres, logiciels, etc. Voir
culture-libre.org,
fsfe.org,
gnuart.org,
artlibre.org,
framasoft.net,
inlibroveritas.net, etc.
En ce qui concerne la musique, de nombreux sites, essentiellement aux Etats-Unis et en Angleterre, sont là pour faire découvrir et s'entendent avec les artistes ou les maisons de disque pour proposer certains titres gratuitement. En général, ils en offrent un ou deux par album quitte à ce que l'amateur intéressé achète le reste. Une pratique apparemment inexistante en France où l'exception culturelle, soit dit en passant, est aussi de voir qu'aucun artiste reconnu n'ofre de titres sur Internet. Alors que l'on peut en trouver des dizaines aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne qui, à l'instar de Mick Jones et son groupe Carbon/Silicon, propose régulièrernent des chansons gratuites sur leur site. Mais Mick Jones, ancien du groupe The Clash, est un vieil activiste de la baisse du coût de la musique. C'est un autre débat...
Citons
insound.com,
artistdirect.com,
besonic.com,
silentuproar.com. On peut aussi se rendre sur
telechargement-legal.net qui recense un grand nombre de sites gratuits et légaux.
Le payant
Là, beaucoup de choses sont légales. Ces sites payants, soit par abonnement soit par achat à l‘unité, proposent des tarifs proches de ceux de la vente en maga-sin - pas génial quand on veut combattre le téléchargement illégal -, mais d‘autres permettent de se procurer de la musique pour des prix modiques, avec des titres à 50 centimes voir 23 centimes
pour
emusic.com et son offre de 90 titres pour un abonnement de 21 euros par mois.
Mais si gratuit n‘est pas synonyme d'illégalité, payant n'équivaut pas forcément à légal. Il est fortement recommandé de lire les clauses et mentions inscrites sur un site lorsqu‘on s'inscrit. Pas févident lorsque ce n‘est pas traduit en francais ou en
anglais.
«Les usagers se rendent bien compte à l'utilisation dit-on à la SCPP.
Le prix est un indicateur mais pas une garantie. S'ils se procurent des titres pour 1 centime comme on a pu le découvrir sur un site russe, c’est qu'il y a un problème».
Le risque
Il faut le rappeler, ce n‘est pas parce qu'on voit tous les copains télécharger illégalement que ces pratiques se déroulent dans l'impunité.
«Cela reste un risque» rappelle David El Sayegh. Il s‘apparente à une contrefacon, infraction pouvant étre sanctionnée de 3 ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende, sans compter les dommages et intéréts pour réparation du préjudice. Mais la réalité des jugements est différente. Les peines ont jusqu'à présent été bien en deçà. Dans les faits,les tribunaux échelonnent les sanctions en fonction de la quantité et de la gravité des faits. Et les poursuites vont d‘abord en direction de celui qui met à disposition ou qui vend illégalement plus qu‘à l'égard de l‘internaute qui télécharge occasionnellernent.
Enfin, il ne faut pas oublier que tout ce qui se passe sur un ordinateur en réseau peut être détecté.
Les parades
Outre les poursuites ou la sensibilisation, il y a la technologie elle-même. Pour l'instant, aucune protection ne lutte efficacement contre la piraterie, soit par insuffisance soit par impossibilité de mettre tout le monde d‘accord.
Licence globale, DRM provoquent la même rengaine de l'une ou l'autre des parties (public, auteurs, distributeurs) : "j'ai des problèmes à toutes vos solutions” semble être un leitmotiv qui bloque toute évolution et tout accord.
Tout cela reste momentané. Après des débats houleux, une loi DADVSI (droits d'auteur et droits voisins dans la société de l‘information) a finalement vu le jour en août 2006. Elle prévoyait la création d‘une autorité de régulation des mesures techniques indépendante, qui vient de s‘installer. Composée de 6 membres, elle a pour mission de concilier le droit d'auteur, la copie privée et l'interopérabilité,
«tout en étant en phase avec l'innovation technologique et avec la modification des pratiques des internautes». Bon courage à eux.
Stéphane Paris
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