novembre 1996

Extension du domaine des sectes

Les mouvements sectaires se manifestent ouvertement, leur place est grandissant
Photo L'Est Républicain

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Entre les 923 morts du suicide collectif de la secte de Jim Jones, le 18 novembre 1978 (le Temple du peuple) et les 53 du Temple solaire, il s'est écoulé dix-huit ans. Dix-huit ans durant lesquels l'actualité a parlé de plus en plus fréquemment des sectes, au travers d'événements aussi spectaculaires que le carnage de Waco (Texas) en avril 93. Ces suicides ou mises à mort collectives ne sont pourtant que la partie émergée d'un iceberg, qui ne cesse de grossir depuis les années 60 et l'apparition d'une nouvelle vague de mouvements sectaires. De tels faits mettent de temps à autres en lumière de façon spectaculaire l'extrême nocivité des sectes. Hors de ces épisodes, «un certain nombre de sectes continuent insidieusement à accomplir leurs méfaits quotidiens dans l'indifférence quasi-générale» note le rapport de la commission de l'Assemblée nationale publié au début de l'année sur le sujet. Les Renseignements généraux estiment à 160 000 le nombre d'adeptes en France et au moins 100 000 les sympathisants d'environ 180 mouvements. En 1982, ces chiffres étaient respectivement de 100 000 et 50 000. Toutes les régions sont touchées, la Franche-Comté y compris. Selon les estimations, le nombre d'adeptes tourne autour de 10000. Les sectes, elles, oscillent entre quinze et vingt. Selon un fonctionnaire qui suit le problème de près «ce qui change, ce n'est pas tant l'augmentation que le fait qu'elles se manifestent de plus en plus ouvertement et s'infiltrent un peu partout». Au prosélytisme oral et au porte
à porte pratiqué par un certain nombre de mouvements, s'ajoutent des affiches, des tracts, du courrier, des conférences. En s'en tenant aux mouvements cités dans le rapport de l'Assemblée nationale, on a par exemple pu noter récemment à Besançon, en pleine rue, un samedi, un appel à une journée porte ouverte organisée par les raëliens sur le thème des «OVNI, la vérité enfin révélée». Pour attirer l'attention des passants, des chants, une guitare et des annonces au micro. Autre exemple, sur les murs de la ville, des affiches du Sri Chinmoy, autre mouvement cité par l'Assemblée, proposant des ateliers de méditation avec la précision : «vous aurez ensuite la possibilité d'approfondir votre pratique. Ces ateliers sont gra-tuits».

Evacuation extra-terrestre dans le Doubs

D'autres mouvements ne se privent pas d'acheter des châteaux dans le Jura, à Augerans (Shri Ram Chandra), à Châtenois (conscience de Krishna). Le secteur est très mouvant, difficile à cerner, certains mouvements agissent très discrètement, d'autres sont à la limite de se voir qualifier de sectes, des groupes apparaissent, d'autres disparaissent. «L"Ecole de la préparation de l'évacuation extra-terrestre» a par exemple été expulsée de Belleherbe (Doubs) en début d'année. Dans la liste nationale établie par la commission de l'Assemblée, on trouve des noms connus comme Moon, le Patriarche ou les Chevaliers du Lotus d'or et une multitude de mouvements plus petits répondant aux noms de Club des surhommes ou Clé de l'univers, ou encore Centre de développement humain, Institut de recherches psychanalytiques, Association de défense des libertés d'expression dans l'institution française et Centre de documentation et d'information et de contact pour la prévention du cancer (!). Et aussi : les Amis de la science du non être de France, Comètes oxygènes, Sister mouvement rasta... La diversité des noms utilisés montrent que ces mouvements ne se cachent pas seulement sous des doctrines religieuses. Le politique, le philosophique, l'historique ou l'humanitaire peuvent aussi leur servir de base.
En ce qui concerne la partie prosélyte, peu d'entre elles se privent d'opérer au grand jour. Il faut dire que les sectes ne sont pas interdites par le droit français. La notion de secte y est même totalement inconnue en particulier parce que la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen suppose que «nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public institué par la loi».
D'autre part il est très difficile de savoir de l'extérieur si un mouvement se comporte vraiment comme une secte. Donc pas de problème, certaines sectes stigmatisées par l'Assemblée exposent leurs idées en librairie, sur Internet et même sur le minitel. D'autant plus facilement que certains de leurs dirigeants ajoutent à la puissance financière, l'accès aux hautes sphères, à l'image de l'éminente scientologue invitée à l'Assemblée nationale lors du débat sur les sectes. Le Patriarche, lui, est subventionné (voir Le Monde du 24 octobre). Dans la région, des dirigeants sont médecins, travaillent à l'Education natio-nale ou à la Préfecture de Haute-Saône... bref ils occupent aussi des postes à responsabilité dans la société.
Devant cette situation, le meilleur moyen de lutte reste encore la prévention. C'est souvent beaucoup plus un faisceau d'indices que des preuves réelles qui permettent de dire attention à tel ou tel mouvment. C'est en tous cas l'objectif de la campagne lancée par le ministère de la Jeunesse et des Sports, notamment en direction des jeunes,
plus facilement victimes des sectes. Parce que le plus difficile n'est pas d'y entrer, mais bien d'en sortir. Connaître leurs méthodes permet à chacun d'être plus méfiant et attentif.

Stéphane Paris
En photo
La salle des miroirs dans la chapelle souterraine de la ferme de Cheiry (Suisse) où 23 membres du Temple solaire sont morts dans la nuit du 4 au 5 octobre 1994. 

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