D'un côté un paysan du Laos ou d'Amérique latine qui n'a plus pour seule ressource que la culture du pavot (ou de la coca). De l'autre un consommateur qui a besoin de 1000 francs par jour s'il veut satisfaire sa dépendance à l'héroïne. Le premier gagne 1 franc pour 8000 francs d'héroïne vendue en Europe. Le second est seul à savoir ce qu'il gagne... Entre les deux, le trafic international de drogue réalise des chiffres d'affaire avoisinant les .300 milliards de dollars. Au moins 20 milliards de francs en France.
Bien entendu, certains dealers de rue amassent des sommes importantes. La drogue trouve ses racines dans la misère et l'exclusion et pas seulement parce qu'elle donne l'impression de résoudre des problèmes. C'est aussi pour beaucoup l'unique moyen de gagner facilement de l'argent. Mais comme le souligne M. Erny, inspecteur divisionnaire à Besançon, «ceux qui en profitent vraiment, ce sont toujours les grands réseaux de distribution». Avec une condition sine qua non, profiter de l'argent généré, donc le blanchir. Les méthodes sont nombreuses, connues, difficiles à stopper : dépôt d'argent sur le compte d'un prête-nom, échange de liquide contre des chèques avec des entreprises qui en ont besoin, virements à l'étranger, utilisation de chèques postaux américains ou de bons du Trésor français souvent anonymes. Personne n'est dupe, ni les banques, ni d'autres institutions qui n'en demandent pas tant. Et ce n'est pas seulement un problème de discussions entre grands pontes du narcotrafic à des lieues de la vie quotidienne : il arrive que tel ou tel commerçant bisontin reçoive par fax ou par courrier`des propositions de prêts très très avantageux pour renflouer une trésorerie. S'il accepte, il devra rembourser à une entreprise lointaine. L'argent ayant transité par une entreprise licite, il sera devenu licite. Dans un contexte où les circuits ne connaissent pas de frontière, les tentatives de dépénalisation n'ont jamais réussi à agir sur le trafic ou la consommation de drogue de la façon voulue. Pas plus que les pratiques répressives, d'ailleurs. Ce n'est pas faute de conventions internationales ou d'organismes spécialisés.
L'alcool le tabac ces drogues...
Outre le problème des circuits financiers, la lutte contre la drogue se heurte à une difficulté : elle connaît des frontières. Chaque Etat possède ses lois, fruits d'une certaine mentalité. Des Pays-Bas à la France, les pays d'Europe possèdent leurs propres arsenaux. Problème réel au moment d'ouvrir les frontières : peut-on autoriser la consommation dans un pays, l'interdire dans l'autre et laisser libre circulation entre les deux ? Pour faire face à cette situation M. Von Achem, magistrat de liaison néerlandais à Paris,n'est pas seul à réclamer une «nécessaire coordination à la fois de la législation et du travail de la police et de la justice entre la France et les Pays-Bas». Mais comment coordonner des mesures issues de pratiques et de cultures différentes ? Un exemple, les Pays-Bas fondent leur pratique sur une grande tolérance, sur la séparation des drogues douces et dures. Une position loin d'être d'actualité en France. Dans le débat sur les drogues, le phénomène culturel est au coeur du problème : la classification des drogues par les conventions internationales et les pays occidentaux n'a rien à voir avec des critères scientifiques. L'alcool et le tabac, drogues au sens sanitaire (stimulants ou dépresseurs du système nerveux, créant une dépendance, susceptibles de constituer un danger sanitaire et social) ne le sont pas au sens juridique. Le cannabis, la coca ou le haschich, dont les effets sont moins nocifs, sont classés dans les drogues prohibées. En l'occurrence, les substances tra-ditionnelles du Sud de la planète sont prohibées, celles du Nord autorisées...
Le toxicomane un individu
Toutes ces perspectives abordent le problème de la drogue en termes globaux. Quid de l'individu ? «Les toxicomanes ont pour seul trait commun l'effondrement de leurs liens sociaux» affirme M. Cornier, directeur du centre de soins de toxicologie de Grenoble. Or l'habitude est prise, notamment dans l'opinion. de considérer la toxicomanie comme une. Et de lui appli-quer une étiquette infâmante, sans considérer que «la toxicomanie fonctionne sur la loi de l'offre et de la demande, fondement de notre économie. La drogue fonctionne comme une autre marchandise. Et réalise la satisfacton par l'objet
dont nous abreuvent les slogans publicitaires («vous ne pourrez plus vous en passer», «vous en avez rêvé»)».
Le temps où étaient appliqués traitements coercitifs et thérapeutiques dirigés vers une «maladie», non une individualité, semble cependant s'éloigner, avec le travail de médecins et d'associations d'accueil. M. Cordier précise l'inutilité d'une méthode globale de traitement : «La toxicomanie est toujours un problème singulier, individuel dans lequel il faut interpeller une subjectivité. Et le toxicomane peut très bien être convaincu de la nocivité de sa démarche et ne pas s'arrêter pour autant. Quand il se drogue, il considère son corps comme un sac qu'il faut gaver jusqu'à ce qu'il déborde. il n'y a pas de toxicomane en France qui ait du mal à trouver ses produits. Alors s'il vient voir un médecin c'est que quelque chose s'est produit, c'est qu'il veut faire attention à son corps. Il faut se comporter normalement avec lui car, alors, son choix est fait».
Stéphane Paris
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