Entre les grotesques aléas du dernier Tour de France cycliste, les suspicions fortes pesant sur le Calcio en Italie (foot), la mort de la sprinteuse Florence Griffith-Joyner que beaucoup d'observateurs n'ont pas hésité à attribuer à ce qu'elle aurait absorbé du temps de sa gloire et bien d'autres vicissitudes liées de près ou de loin au dopage,. ce thème récurrent n'aura pas quitté l'actualité du sport en 1998. Au point de susciter une nouvelle loi antidopage en France (elle doit être votée début mars) ou la réunion - peu suivie d'effets pour l'instant - des plus haute instances sportives pour améliorer les moyens de lutte.
Pourtant le phénomène n'est pas nouveau. Ce qui l'est plus, ce sont les proportions atteintes en quantité et en qualité, la violence de certains produits, l'incroyable partie immergée que laisse entrevoir celle qui émerge peu à peu. Si les exemples du haut niveau peuvent laisser croire à des pratiques réservées à une «élite», cette distinction apparaît en effet totalement illusoire. Ainsi Christian Debaisieux, actuel responsable du haut niveau et de la médecine sportive à la direction régionale de Jeunesse et Sports, ancien conseiller technique régional d'athlétisme, se dit inquiet : « Avant de prendre ce poste, je pensais que le dopage était tout à fait marginal. Depuis j'ai été surpris de constater que ce n'est pas seulement le haut niveau qui est touché mais aussi le niveau régional. Dans le sens où ce sont les valeurs mêmes que peut véhiculer le sport qui sont en cause, il faut tirer la sonnette d'alarme ». Le docteur Thierry Camponovo au fait de l'actualité pour être depuis plusieurs années le médecin du Cros de Franche-Comté (comité régional olympique et sportif) est aussi radical : « L'imbrication est quand même très étroite, il n'y a pas de barrière nette entre sport de haut niveau et sport de masse. Les sportifs de haut niveau viennent bien du sport de masse à l'origine. Ils y retournent souvent, deviennent entraîneurs, dirigeants. Vous imaginez que s'ils estiment qu'un produit marche ils ne vont pas le donner à leurs sportifs ? On a parfois des surprises en faisant des contrôle antidopage à des niveaux régionaux. Pourquoi voudriez-vous que les produits s'arrêtent au haut niveau ? ». Selon ce médecin bisontin, le dopage est probablement répandu à tous les niveaux. « Quand j'en parle à des dirigeants, beaucoup sont épouvantés et ne me croient peut-être pas toujours en totalité. Mais je ne suis pas alarmiste pour le plaisir d'attirer l'attention ».
On retiendra également que Vincent Fuster, président du Comité régional olympique et sportif se dit « très très inquiet » devant l'étendue du phénomène.
Des hommes sains dans des corps sains
S'il était sans dommages, on pourrait d'ailleurs considérer le dopage comme une contribution au toujours plus haut, plus fort, plus vite, au même titre que ta diététique, les préparations physiques toujours plus affinées ou encore les recherches scientifiques sur les instruments utilisés, perches, skis. voitures, vélos, raquettes, bateaux de plus en plus efficaces, légers, aérodynamiques. Le but est semblable, améliorer la performance. Mais le problème est ailleurs, il suffit pour s'en convaincre de lire les effets néfastes provoqués par les différents produits qui circulent. Décès mais aussi cancers, infarctus, troubles psychiques et physiques... les conséquences à plus ou moins long ternie sont tout simplement effarantes. Tous les cas ne sont pas limites, mais, comme le dit le docteur Camponovo, « le problème, ce n'est pas seulement on vit ou on meurt. Entre les deux, il y a aussi dans quel état de santé on vit et on sera à long terme. Surtout que l'on connaît encore assez mal les effets de produits comme les hormones de croissance ou l'EPO. Certains utilisent cet argument pour dire que c'est peut-être bénéfique. Mais en termes de santé publique, on raisonne toujours de façon inverse : on n'utilise pas un produit tant qu'on n'a pas prouvé qu'il n'est pas dangereux ».
Les contrôles ne sont pas représentatifs
Difficile de se faire une idée de l'ampleur réelle du phénomène. Une récente étude médicale indique qu'un Français adulte sur dix pratiquant un sport en amateur reconnaît avoir recours à des produits dopants. Reconnaît... En 1997, sur 221 contrôles positifs, seuls 27 concernaient des sportifs de haut niveau, le reste étant le fait de sportifs de niveau régional ou départemental... Les contrôles antidopages peuvent d'ailleurs laisser croire à un phénomène relativement circonscrit. En 1992 par exemple, seuls 1 % des contrôles s'étaient avérés positifs, chiffre assez stable d'ailleurs. Mais les contrôles donnent-ils une photographie exacte de l'étendue du problème, quand on sait que les produits dopants sont toujours en avance sur les moyens de les détecter, que la plupart des produits peuvent être masqués, que certains comme l'EPO sont indécelables lors d'un contrôle classique et que tous les contrôles ne sont pas inopinés, loin de là ? Et quand on sait que le nombre de contrôle dans le monde en une année n'atteint pas la moitié du nombre de licenciés sportifs en Franche-Comté ? Sans comp-ter qu'un sportif qui a l'habitude de tricher avec la compétition - puisque c'est de cela qu'il s'agit - hésitera d'autant moins à le faire avec un contrôle qu'il n'a pas envie d'être pris. « Tous les moyens sont bons pour passer à côté d'un contrôle entre l'urine préalablement stockée ou le remplacement de celui qui doit se faire contrôler relate Thierry Camponovo. On a même déjà trou-vé un homme «enceinte» : une femme avait uriné à sa place ! Et avec ça quand l'un se fait prendre, il se débrouille toujours pour faire casser la procédure. Pour être pris il ne faut vraiment pas avoir de chance ou de bon avocat. Les cas positifs ne sont pas du tout révélateurs du problème ».
Plus probantes seraient des études consacrées à l'état de santé des sportifs pendant et après leur carrière mais il en existe peu. Récemment cependant, pour la première fois, un contrôle étendu de la santé des cyclistes basé sur la surveillance régulière de leur métabolisme a été lancé à la demande de Jeunesse et Sports. Révélés par Libération, les prémices de l'enquête ne laissent pas d'inquiéter : « la moitié du peloton des professionnels devrait être mise en arrêt de travail et 60 % des 200 coureurs contrôlés connaissent des cas de perturbations biologiques sérieuses qui doivent faire l'objet d'une étude scientifique ». Parmi diverses anomalies, des surcharges ferriques « tout sauf anodines » selon les médecins. Avant même le deuxième bilan devant survenir dans deux mois, deux coureurs ont été mis en arrêt de travail. Dans ce panorama, les sportifs apparaissent plutôt comme des victimes. Victimes d'un système qui leur demande toujours plus en termes de performances. Victimes d'un système où les expressions loi du silence, soif de gloire, apppât du gain prennent tout leur sens. Victimes car ils ont tous les inconvénients des produits dangereux qu'ils ingurgitent, sans aucun avantage puisqu'a priori tout le monde le fait. Et jusqu'à preuve du contraire, quelle que soit la compétition, il n'y aura toujours qu'un vainqueur.
Stéphane Paris
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