Cet été, Benjamin Locatelli a été invité par Malbuissonart à créer l’une des 18 pièces d’été de la quadriennale d’art contemporain en plein air. Une reconnaissance pour le jeune homme dont le nom apparaît parmi ceux d’artistes reconnus internationalement. Le Pontissalien installé aux Verrières a choisi de décorer à base de tags et de graffitis une station de pompage. Couleur dominante bleue. Parmi les contraintes fixées par les organisateurs figurait la référence au contexte local. Le bâtiment se situe en contrebas de la Grande Source, située à flanc de montagne et marquée par un petit monument sur lequel figure la phrase latine « pauperi divitique fons eadem jucunda ».
« J’avais le choix du lieu. Le thème de l’eau m’inspirait. J’ai repris la citation latine au milieu d’autres mots. Pour travailler, je me fais une liste de mots, de valeurs, je définis la couleur et le style et ensuite je me lance, en suivant globalement l’idée mais en laissant place à l’aléatoire, à l’impro. Je peins large et vite, avec des éclats, ça donne un dynamique. Dès que la bombe est prête, il faut aller vite, c’est assez physique et c’est ce qui me plaît. J’ai mis 2 jours pour faire la Source. Après avoir tout essayé, je suis revenu à ce que je faisais au début ».
Parmi les tags visibles sur la station, son pseudo Writink. Le pseudo d’un artiste autodidacte qui a découvert la culture du graffiti à 13 ans par l’intermédiaire d’un camarade de collège venu de Sarcelles.
« J’ai commencé dans les cahiers et dans la rue. J’étais dans l’univers skate, BMX avec des graffitis, des tags partout. Ensuite j’ai animé des activités graff à la MPT des Longs Traits puis je me suis lancé en autoentrepreneur. » Entretemps, à l'adolescence, il a été arrêté en flagrant délit de tag, a pris une peine de prison avec sursis. Le sentiment d’injustice qu’il décrit sur son blog
writink.life a fait place, au moment de ses premières animations, à des questions sur le rôle et l’utilité du graffiti, sur l’éducation, sur ses valeurs. Il a notamment évolué sur l’idée qu’il se faisait de la liberté.
« En Europe, les graffeurs dans le monde de l’illégal pensent que ceux qui respectent la légalité sont des vendus. Je trouve cela dommage car ici, on a tout ce qu’il faut. Dans certains pays arabes, en Inde, au Mexique, c’est bien plus violent. Sans dénigrer le graff illégal, je cherche une approche plus sage, plus réfléchie ».
Partage
Depuis, il n’a cessé de développer à la fois ses techniques artistiques et sa philosophie, qu’il résume par « Don’t react, act ! ». Il écrit sur sa page :
« Tout mon art, mon style de vie de manière globale se base dans cette dynamique de partage de connaissance, de bienveillance et d’expériences de la liberté sous sa plus juste mesure sociale. Que ce soit au travers de mes tableaux, mes fresques, mes formations, mes interventions médiatiques je travaille à utiliser le pouvoir du graffiti pour apporter le meilleur autour de moi ». A côté de son activité d’artiste, il poursuit ses animations et interventions éducatives dans des écoles, centres aérés et diverses structures de l’Est de la France et de Suisse romande.
Installé côté helvète depuis 10 ans, il a aménagé son atelier dans un vieux silo à grains. Dans sa volonté de générer dynamisme et entraide, il a lancé le Klab, pour Kultural laboratary, sorte de club transfrontalier susceptible de rassembler des gens de tous horizons, artistique, mais aussi politique, entrepreneurial, sportif.
« C’est un réseau à vocation très large, avec une volonté de partage. L’idée m’est venue parce que j’étais dans plein de domaines qui ne se connectaient pas entre eux. C’est un tiers lieu qui a évolué et qui marche bien, avec des membres de France et de Suisse ». Aujourd’hui, cet espace de synergie où se mêlent travail, lieu de vie, projets peut aussi bien être lieu de séminaires d’entreprises que d’événements culturels.
S’il fait preuve d’une optimiste bonne humeur, il prévient néanmoins ceux qui aimeraient suivre ses pas que la situation n’est pas facile.
« Vivre de l’art, c’est compliqué. Il faut créer mais aussi trouver des solutions pour se développer, chercher des galeries ». Il pense aussi que sa démarche et sa curiosité pour découvrir de nouvelles techniques et expressions ont les défauts de leurs atouts.
« Je suis très changeant. Cela peut poser problème quand on veut avoir un style et une image de travail. Il vaut mieux garder une ligne que faire des choses très variées. Le monde l’art est compliqué et je pense qu’en me spécialisant, j’aurais évolué plus rapidement ».
Il ne s’est jamais posé la question de passer par une école d’art, notamment parce qu’à ses débuts il ne pensait pas faire de l’art.
« Peut-être que j’aurais acquis plus vite les techniques, que j’aurais mis moins de temps à comprendre comme ça fonctionne, que j’aurais appris plus vite à me lancer à gérer un projet, mais d’un autre côté, il y a un formatage. Je pense que ce qui m’a forgé, ce sont les ateliers. Ça me tient à cœur car l’école était pour moi une corvée, une souffrance. C’est quand j’ai commencé les animations que, pour donner des atouts aux gamins, j’ai commencé à me renseigner sur l’histoire, les styles, les mouvements, les techniques, la légalité ».
S.P.
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