Le projet s’appelle "Cartographier l’intime". Les élèves participant ont dû élaborer un autoportrait au moyen de dessins et de textes, en se basant sur un paysage qui leur plaisait, en se référant à leurs "paysages intérieurs" et en laissant vagabonder leur imagination. Un sujet qu’on peut s’attendre à voir proposer en école d’art. Mais les élèves qui s’en sont emparés cette année viennent des lycées agricoles de Plombières-les-Dijon et de Dannemarie-sur-Crête. Ils ont travaillé sous l’égide de leurs professeurs d’éducation socio-culturelle et de deux artistes lyonnais, Géraldine Trubert et Raphaël Patout. «Nous avons passé 5 jours avec eux relate ce dernier. Nous leur avons imposé le format et le noir et blanc pour qu’ils se concentrent sur le fond. Et nous avons vu des élèves dont on pourrait penser qu’ils ne sont pas forcément à l’aise avec l’art se laisser aller à l’expérimentation et à la radicalité».
Exposé, le résultat formait l’un des quinze projets d’élèves présentés le 24 avril au lycée de Montmorot dans le cadre des Rencontres culture(s) et territoire, regroupant 11 des 21 lycées de l’académie.
"Initiation, enrichissement, émulation"
Tous les lycéens agricoles ont des profs d’éducation socioculturelle et suivent des cours d’éducation artistique pendant leur cursus. En terminale, ils travaillent avec des artistes et expérimentent une pratique. «C’est une matière propre à l’enseignement agricole depuis 70 ans explique Guillaume Thibault, animateur régional du réseau des professeurs d’éducation socioculturelle ("la Belle FaBriC") et lui-même enseignant de cette discipline. A l’époque, la volonté était d’apporter une ouverture culturelle à des élèves issus en totalité du monde agricole».
Ce cours est aujourd’hui l’occasion pour eux de découvrir le monde artistique, côtoyer des artistes, voir des œuvres, acquérir des connaissances et vivre une expérience de création. Il fait l’objet d’un contrôle continu tenant compte du «chemin parcouru, de l’investissement dans le projet, du regard critique».
«Il faut remercier les précurseurs de l’éducation socioculturelle qui n’avaient pas tort dans leur démarche estime Hubert Martin, chef du service régional de la formation et du développement de la Draf (1). Cela apporte une richesse et un complément aux autres disciplines, cela crée également un lien. C’est une source d’initiation, d’enrichissement, d’émulation pour les élèves».
On ne le sait pas beaucoup. L’enseignement agricole est plutôt connu pour ce que décrit avec une fierté légitime Dominique Roulin, proviseure de l’établissement de Montmorot : «nous possédons une véritable exploitation et les élèves apprennent leur métier dans des ateliers d’application lait, viande, poulet, maraîchage biologique et, c’est plus rare, viticole». La culture n’est pas primordiale mais elle est présente.
"Châteaux en Espagne"
«Au départ, ils n’ont pas le choix du domaine qu’ils vont découvrir car ce serait compliqué à organiser reprend Guillaume Thibault. Et même si certains peuvent se braquer à l’idée d’aborder la danse, par exemple, en général tout se débloque lors de la rencontre avec l’artiste» souligne-t-il.
Toutes les pratiques sont envisageables. Lors de la journée de Montmorot, les présentations des élèves abordaient le land art, la sculpture musicale, le cirque, la photographie, les arts plastiques, la vidéo, la danse, l’écriture, le théâtre, la musique. Ils regroupaient des élèves fiers de présenter leurs créations. Certains en représentation en public comme ceux du lycée de Valdoie venus exposer leur travail en atelier d’écriture et chant nommé "Inventons le bonheur !". Pas si évident pour des élèves censés se spécialiser dans la vente en animalerie et produits de jardin. Et non préparés à affronter le trac d'une représentation en public. «Au départ on a été surpris, on ne s’attendait pas à devoir chanter» admettent-ils. Non seulement ils l’ont fait, mais en écrivant leurs propres textes avec l’aide de Ludivine Faivre, auteure, compositrice, interprète. Des écrits personnels mais aussi une chanson collective, "Châteaux en Espagne" au refrain en forme de dévoilement intime : «Voici nos châteaux en Espagne / Là où nos rêves sont des montagnes / Que l’on gravit grâce à l’espoir / Tous les rêves arrivent à point / Il faut s’en donner les moyens / C’est à nous d’écrire notre histoire».
Pour la Drac (2) et le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, qui financent également, cette manifestation va au-delà du seul aspect enseignement. «La possibilité de se confronter aux artistes et aux pratiques culturelles est aussi un projet de société» estime Patrick Demange, conseiller d’éducation artistique à la Drac. «La culture dans les lycées n’est pas obligatoire mais nous pensons que c’est important résume Stéphane Guiguet, vice-président du Conseil régional délégué aux lycées. Nous soutenons de nombreux dispositifs permettant d’infuser la culture, car elle permet de développer un esprit critique, d’avoir un regard lucide, d’analyser, de s’ouvrir sur le monde, de mieux le comprendre, d’acquérir des connaissances et des compétences».
Stéphane Paris
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