Ce cinéaste franc-comtois vient de réaliser
Huile sur toile et
Crayon, Terre, Savon et Rouille sur fond de journal, deux superbes courts métrages qui ont recueilli un réel succès d'estime. Dans le cinéma depuis 10 ans, il donne son opinion sur ce milieu dans lequel il a exercé diverses fonctions (cadreur, chef opérateur, machiniste).
Pour l'instant, tu ne vis pas de la réalisation. Qu'est-ce que tu fais à côté ?
Je fais des boulots de chef opérateur : je fais l'image pour les autres. La lumière, le cadre, la caméra. Ça fait quelques années que j'arrive quand même à vivre à peu près à 50 % de la réalisation et à 50 % d'opérateur.
Ces boulots, tu les trouves comment ? Par relation ?
Oui. Ça se fait petit à petit. Moi j'ai commencé au CFC à Dole. J'étais tombé dans un bon moment, parce que ça commençait à prendre un peu d'ampleur et il y a eu quelques petits films qui arrivaient, des courts métrages. Il y avait besoin de quelqu'un à l'image. Moi, j'avais une pratique photo essentiellement. J'ai pris la caméra à ce moment-là, ça m'a donné l'expérience. Mais la première, je me l'étais donnée moi-même en faisant l'image d'un de mes films. Je pouvais montrer ça et dire « vous pouvez me confier un court métrage de la même valeur ». Quand il y avait un court-métrage un peu plus important, on faisait venir un chef op' de Paris. Dans ces cas là, je bossais comme assistant. Ces mêmes chefs-op', quand ils étaient satisfaits, m'appelaient pour être leur assistant lorsqu'ils bossaient sur Paris et petit à petit j'ai commencé là-bas. Donc j'ai eu un vrai départ ici. Pas un démarrage comme la plupart du temps, à Paris. Mais après, il fallait ouvrir... J'ai fait aussi des longs métrages en tant que machiniste, avec Jean Marboeuf (réalisateur entre autres de
Pétain) : le machiniste est vraiment sur place, il installe la caméra, le pied, les mouvements d'appareils, donc sur le plateau au plus près. Forcément, on apprend des méthodes, c'est une sorte de compagnonnage. C'est aussi ce qui fait la richesse de ce boulot-là : il faut beaucoup bouger, beaucoup changer sinon chacun garde des défauts qu'il reproduit tout le temps. En tant que réalisateur, ça me sert autant que d'avoir été assistant de Pierre ou Paul. Ca m'a économisé des courts métrages qui auraient pu être des erreurs : je les ai faites avec d'autres qui ont fait leur erreur à ce moment-là et moi j'en ai profité aussi !
Espères-tu te lancer dans le long métrage à plus ou moins long terme ?
Oui, j'ai décidé d'arrêter le court métrage. Parce que même quand ça se passe très bien comme avec
Crayon..., qui est très bien reçu partout, même dans ces conditions, financièrement, c'est catastrophique. Un court métrage est très difficile à monter financièrement. Celui-là, si j'avais attendu d'avoir l'argent, je ne le faisais pas. En fait, j'ai gardé l'équipe d'
Alice au pays d'Ornans (son film précédent, une commande) pendant trois jours pour tourner les images de
Crayon... Puis j'ai montré ces images et j'ai fait un prémontage qui m'a permis d'obtenir de l'argent. Petit à petit comme ça jusqu'au bout... Aujourd'hui il manque toujours 60000 F. Le film passe à droite à gauche, mais c'est toujours gratuit. Etant donné la forme, ça ne peut pas passer à la télé. Arte veut bien le prendre en soirée thématique, mais il faut attendre un thème qui corresponde.
Matériellement, c'est donc plus dur que le long métrage.
Oui, parce que en plus quand on cherche de l'argent, on est obligé d'aller chercher des mécènes. On ne peut pas intéresser quelqu'un financièrement. Il faut trouver des gens qui ont avantage à ce que le film existe, qui peuvent s'en servir. Avec un long, la part de risque est énorme mais au moins tu cours le risque de t'en sortir. Alors qu'un court, c'est sûr que quoi que tu fasses, il ne vivra pas.
En restant en Franche-Comté, est-il possible de faire du cinéma ?
Oui, mais ça implique plein de choses. D'abord, je ne suis pas pour défendre un cinéma régionaliste. Ça ne m'intéresse pas : soit on fait du cinoche, soit on n'en fait pas. En faire dans une région, qu'est-ce que ça veut dire ? Si je fais ce boulot-là, c'est pour bouger, pas pour travailler devant chez moi. Le cinéma ça doit ouvrir sur les choses, pas fermer. Après, il faut avoir une adresse à Paris, c'est sûr. Pour l'anecdote, moi par exemple, j'avais au début juste un point de chute pour loger quand je bossais là-bas. Le problème, c'est que mon adresse était ici et lorsque quelqu'un qui était content de moi en parlait à un producteur, ce dernier disait en voyant l'adresse « mais c'est où ça ? C'est quoi ? ». J'ai loupé des boulots uniquement parce que j'habitais ici ! Pour finir j'ai une adresse là-bas.
On dit que c'est un milieu très parisien et très fermé. C'est donc une réalité ?
Oui, c'est une réalité. Mais ça peut se comprendre, parce que le tout fait que ça continue. Dire j'habite à Paris, c'est pour le premier rapport, qui au départ est très fragile. Par exemple, ton boulot de chef opérateur, on ne l'a pas vraiment vu, on en a juste entendu parler. Ça tient à peu de choses et ils ont l'impression que parce que tu es à 500 kilomètres, ça va être très difficile pour te faire venir, ça va leur coûter des frais de déplacement. C'est éliminatoire dans 90 % des cas. De toute façon, tous les frais de déplacement sont comptés depuis Paris. Si je bossais ici, je toucherais des frais de déplacement depuis Paris alors que j'habite sur place ! Tout est fait pour Paris. Même si maintenant, il y a un tas de gens qui ont un peu ras-le-bol de Paris et qui en sortent un peu. Mais le système est toujours le même : chacun a une adresse et un téléphone à Paris, par exemple avec renvoi d'appel. Donc, en région oui, mais avec certaines conditions. De toute façon, quelqu'un qui veut vraiment bosser, voir le cinéma de manière globale ne doit pas hésiter à bouger.
Passer par une école comme la Femis apporte-t-il un plus ?
La connaissance qu'on acquiert là est importante. Celui qui peut le faire, il faut qu'il le fasse. Moi c'est simple, j'ai un CAP de menuisier, métier que j'ai exercé trois ans. Après j'ai essayé de rentrer dans les écoles mais en n'ayant pas le niveau, je ne pouvais rentrer nulle part ou alors dans des écoles privées où il fallait payer 30000 francs par trimestre. Hors de question. Je me suis dit « sers-toi de ce que tu sais faire». Comme j'étais un manuel, j'ai bossé en machinerie, lorsqu'on avait besoin de gens qui bricolent très vite des choses. J'aurais pu entrer dans la déco par exemple. Mais la machinerie m'amenait plus directement à l'image et à la mise en scène. Et puis à la déco, tu travailles toujours avant le tournage donc tu n'es pas sur le plateau.
Qu'est-ce que tu dirais aux jeunes qui veulent se lancer ?
J'ai presque envie de dire qu'il faut oublier tout ce qu'apporte un travail normalement, tout le confort. Moi, il y a des moments où je gagne très bien ma vie et d'autres moments où c'est une catastrophe. On arrive à travailler sur des films où on gagne beaucoup d'argent et derrière, on enchaîne avec des films où on ne gagne rien. A un moment, j'ai fait un peu de pub : là on gagne très bien sa vie. Quand il y a de l'argent, il faut le prendre et quand il n'y en a pas, si ça t'intéresse, tu le fais aussi, tu travailles de la même manière. Les gens ont du mal à comprendre qu'on puisse travailler gratuitement. Mais c'est apprendre le cinéma. II faut arriver à vivre, sans charges élevées.
Recueilli par SP
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