Il y a un an, Manon Guenat a décidé de changer radicalement de coupe de cheveux. Exit le carré sage, place à une coiffure asymétrique avec une partie rasée autour d’une oreille, laissant apparaître son appareil auditif transparent. Un changement inédit et symbolique. « J'ai fini par assumer mon handicap que je voulais jusqu'alors cacher », explique-t-elle.
La jeune femme qui a grandi à Rosières-sur-Barbèche, un petit village entre Besançon et Montbéliard, est atteinte d’une surdité profonde depuis la naissance. Elle porte deux appareils auditifs depuis qu’elle a 8 mois. « Ils me permettent d’entendre des sons puissants et forts, mais pas aigus ou faibles. Impossible de percevoir le chant des oiseaux par exemple », expose-t-elle. Mais ces appareils ne sont pas la panacée. « Si une personne me parle, je l’entends mais je dois en parallèle lire sur ses lèvres pour comprendre ce qu’elle me dit », poursuit-t-elle. Grâce à ses équipements et à la lecture labiale, elle n’a pas eu à apprendre la langue des signes. D’autant que les membres de sa famille ne sont pas sourds et ne maîtrisent pas non plus cette langue.
Les séances d’orthophonie ont rythmé sa vie, de ses 10 mois à 12 ans. Objectifs : « Que j’appréhende ma voix et que je puisse parler normalement. Aujourd’hui, certains mots me sont encore difficiles à prononcer, mais globalement il est naturel pour moi de parler », avance la Doubienne.
Des efforts constants
Plus jeune, Manon Guenat a toujours essayé de se fondre dans la masse. Elle a suivi une scolarité en milieu ordinaire, mais devait s'asseoir au premier rang pour pouvoir lire sur les lèvres de ses professeurs. « Ce n’était pas toujours simple car ils oubliaient souvent mon handicap et se déplaçaient dans la classe au lieu de rester au tableau, se souvient celle qui se décrit comme studieuse. Je demandais régulièrement aux autres élèves de me prêter leurs notes pour combler les trous. »
Son adolescence n’a pas été la plus gaie. Elle reconnaît ne pas avoir eu beaucoup d’amis à cette période. « Je me concentrais beaucoup sur mes études et peu de personnes comprenaient mon handicap », glisse-t-elle. Et elle qui voulait vivre comme tout le monde a dû renoncer à des plaisirs que pouvaient s’offrir celles et ceux qui avaient son âge comme les sorties en boîte de nuit, en raison du bruit.
Son bac en poche, elle a travaillé un an en tant qu’accompagnatrice scolaire dans une école, puis a commencé une formation d’auxiliaire de puériculture. Cela ne l’intéressait pas autant qu’elle imaginait alors elle a décidé de poser ses valises à Besançon pour intégrer la fac d’histoire. Déterminée et passionnée, elle a redoublé d’efforts pour suivre : « Les cours en amphithéâtre étaient compliqués : ça résonnait dans la salle et les enseignants parlaient au micro, ce qui rendait difficile la lecture labiale. » Mais l’étudiante a pu compter sur ses camarades pour lui prêter leurs notes, et sur certains de ses professeurs qui acceptent de lui transmettre leurs cours.
Une vie compliquée par la pandémie
Crise sanitaire oblige, son cursus est passé en distanciel. Cette fille unique est alors retournée vivre auprès de sa mère, animatrice périscolaire dans une école, et de son père, logisticien de transport. De mars à juin 2020, ses professeurs ont renoncé aux cours en visio et donnent à sa promo des devoirs et exercices à faire à la maison. Les choses se sont gâtées en septembre dernier, alors qu’elle entrait en M2 d’histoire, car les enseignants devaient dispenser leurs cours avec un masque. Impossible pour elle de suivre dans ces conditions. Avec les cours en visio, le problème est le même. « La qualité de la vidéo ne me permet pas de lire correctement sur les lèvres de l’intervenant et il n’y a pas de sous-titre », résume-t-elle. Résultat, sa dernière année se déroule par correspondance. L’étudiante a reçu tous ses cours en version papier et s’organise comme elle l’entend. Elle profite de son temps libre pour s’adonner à sa passion : le jardinage. Son cursus se passe bien, même si « ne pas avoir d’interactions avec (s)es professeurs et (s)es camarades » lui manque.
Outre sa scolarité, la pandémie a chamboulé son quotidien : elle ne peut plus décrypter ce que disent ses interlocuteurs masqués. « Au début, je me suis sentie isolée, repliée sur moi-même, je refusais de sortir », relate-t-elle. D'un naturel joyeux, elle décide malgré tout de positiver et de faire des vidéos sur les réseaux sociaux pour sensibiliser les internautes à son quotidien et à l’intérêt du masque transparent.
Une fois son master terminé, elle envisage de passer le concours d’assistant de conservation ou d’embrayer sur un autre master patrimoine et musées. Son but : travailler dans la conservation du patrimoine ou au sein d’un musée. Aujourd’hui, elle est épanouie, bien entourée et surtout fière du chemin parcouru : « J’ai enfin accepté ma surdité et le fait d’être différente. »
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