Chaque année, des centaines de jeunes francs-comtois "franchissent" la frontière pour aller effectuer un job d'été en Suisse. Un très grand nombre d'entre eux ont à peine 16 ans et sont embauchés à la récolte du tabac, notamment dans le canton de Vaud où l'on parle français. C'est que les agriculteurs suisses n'ont pas la frilosité des employeurs français et qu'ils savent d'expérience que c'est l'âge auquel on a le plus envie de travailler et que les 16-18 ans sont rudes au travail. Récolter le tabac est un job difficile, exigeant physiquement et psychiquement. Les journées sont longues et le soir dans les villages vaudois il n'y a pas ou peu de possibilité de distraction. La meilleure chose à faire est de se coucher tôt, vers 22 heures pour refaire ses forces et être à nouveau d'attaque pour la journée du lendemain. A 20 ans et plus, un jeune trouve ce régime un peu spartiate ou pénitentiaire et sera plus enclin à mettre fin à l'expérience en cours de saison. Autre raison pour l'agriculteur de recruter un 16-18, le moment de la récolte quelle qu'elle soit n'est pas une science exacte. Si la production est à point alors le temps presse. Si la plante n'a pas assez mûri car la pluie s'est faite rare ou que le soleil a fait défaut, alors il faut ajourner le travail en cours de récolte et renvoyer le jeune dans sa famille quatre, cinq jours le temps que la plante mûrisse. Le 16-18 est prêt à toutes ces souplesses. Il ne maugrée pas contre le temps et donc son employeur. Les parents, compréhensifs de ces contraintes et heureux de voir leur enfant prendre courageusement de l'autonomie sont bien souvent prêts à venir chercher leur enfant et à le ramener quand le temps de la récolte est enfin là.
Pour une fois avantage aux 16-18, avantage chèrement payé car le travail est rude. Mais il en va de même de tous les travaux de la ferme. On y côtoie la nature, la vie physique, très souvent "des vrais gens"qui savent qu'aide-toi et le ciel t'aidera. C'est un job physique qui exige endurance et intelligence pratique. Bien souvent, le jeune devra puiser dans ses réserves de courage. Mais il en revient plus mature et fier de lui-même et de sa première paye. Ce qui est bien autre chose que l'argent de poche dont il bénéficie sans effort.
Témoignage de Vincent, 16 ans
"Le premier jour on s'est demandé si on allait tenir le coup tellement la journée était longue et tellement on était courbaturé. Le lever était à 6 h 30, le petit-déjeuner à 7 h et on était dans les champs à 7 h 30 jusqu'a midi. Puis reprise du travail de 13 h à 19 h. C'est intensif. Il faut être vraiment productif. La machine avance assez vite dans le champ de tabac. Après le passage dans le champ, il faut porter les paniers de feuilles de tabac sur le chariot. Le matin, on profite du moment le moins chaud pour cueillir dans de bonnes conditions. On est sur un siège sur le porte-cueilleur qui contient 4 à 6 places. Le porte-cueilleur avance dans la plantation grâce à un système motorisé. Il faut choisir parmi les feuilles du bas de la plante celles qui sont les plus mûres et les plus vertes. On fait plusieurs passages dans un champ et on cueille à partir des feuilles les plus basses pour laisser les feuilles du haut se développer. L'après-midi on rentre les feuilles dans des hangars.
On travaille alors sur des machines, les enfileuses, qui permettent de relier les feuilles les unes aux autres avec une aiguille, puis d'accrocher ce fil plein de feuilles à des lattes qu'il faut ensuite aller suspendre dans le hangar pour qu'elles commencent à sécher. Tu n'es pas habitué à avoir quelqu'un d'exigeant qui passe derrière toi à ramasser les feuilles qui ont été oubliées ou que tu n'as pas eu le temps de prendre. Les premiers jours, tu as tout le temps quelqu'un derrière toi pour corriger ton travail pour ne pas laisser les feuilles s'abîmer. Ce qui est un peu oppressant c'est que tu es contrôlé sans arrêt. Mais on s'habitue sans problème. On sait que cela ne dure que 6 semaines et que cela va se terminer. Entre 16 et 18 ans c'est très difficile de trouver du travail en France, en plus le salaire est inférieur à celui d'un adulte. En Suisse on est considéré comme de vrais employés, pas comme des jeunes qui seront moins payés en fonction de leur âge. On est là pour se faire le maximum d'argent possible, c'est bien de travailler beaucoup, car de toute façon il n'y a rien à faire dans le village et les alentours. Ce qui est bien c'est qu'on sait qu'on gagne sa vie.
La famille Robert est connue à Ménière pour être exigeante et avoir une exploitation très structurée. Mais ce sont eux qui payaient le plus et qui traitaient le mieux les ouvriers au niveau du confort. On mangeait comme la famille et avec elle et c'était très bien. J'ai eu beaucoup de chance, j'étais tombé dans une très bonne famille qui payait bien. On était extrêmement bien nourri, logé et blanchi dans une excellente ambiance.
J'ai gardé de bons contacts avec cette famille. Etant nourri et logé je n'avais rien dépensé et j'ai pu revenir avec 1500 euros nets. Cela m'a servi comme complément d'argent de poche toute l'année et j'ai pu m'acheter un micro, un logiciel et du matériel pour des instrus de rap et composer. C'était au moment de la canicule en 2003, j'avais 16 ans pile et je rentrais en 1re après la saison. J'avais encore les doigts marqués par la cueillette au moment de la rentrée. J'étais vraiment content de mes vacances".
Témoignage de Louis Robert, agriculteur à Ménière
"Pour recruter un jeune français c'est facile. On remplit une fiche qu'on envoie au service du travail. La récolte du tabac dure six semaine et commence aux alentours du 10 juillet. On attend des 6 jeunes qu'on recrute de la conscience professionnelle, le tabac est une plante très délicate, sinon ils font du gâchis.C'est un peu du travail à la chaîne. On a bien conscience de la difficulté de la récolte et de la pénibilité du travail. Ils font notre admiration. Ils sont courageux. Ils ont du mérite. S'ils ont une bonne éducation, cela va bien. Des fois il y a du fil à retordre. Mais c'est l'exception. Sur notre exploitation, on ne fait pas de différence en fonction de l'âge ou de quoi que ce soit d'autre. Ils sont payés 60 F par journée travaillée. On travaille 6 jours sur 7. Depuis deux ans, nous avons diminué la journée de travail d'une heure. Maintenant on finit le soir à 18 heures. Chez nous c'est l'esprit de famille. Ils mangent le même menu que nous, y compris le dimanche, trois fois par jour et la nourriture est à volonté. Le dimanche, le petit déjeuner est servi jusqu'à 9 heures, le repas principal à 12 h et le souper à 18 h 30. Il y a environ trois cent nonante-trois récoltants de tabac en Suisse dont la plupart dans notre région. Ceux qui recrutent le plus de salariés en embauchent une quinzaine, nous on a besoin de 6 personnes chaque année. Mais on constate une diminution de la consommation de tabac et il y a une diminution chaque année des surfaces cultivées".
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