Page 305, on termine la première partie de «Lambeaux de mémoire» («Enfance») sur une photo de Jean Moulin avant de voir imprimé sur la quatrième de couverture : 17,99 euros. Comme un raccourci du XXe siècle, à l'image de ce dont témoigne ce livre : tout en exposant les souvenirs personnels de l'enfance de l'auteure et les événements particuliers d'une famille jurassienne de la première moitié du siècle, il souligne à quel point la société, les habitudes, les heurs et malheurs ont changé en moins d'un siècle. On lit d'une traite, le style est cinglant, imagé, les portraits remarquablement évocateurs. Et tqut autant que faire oeuvre autobiographique, que rendre hommage à la mémoire de sa grand-mère ou que ressusciter ses douleurs d'enfant, Jeanne Champion s'adresse à la jeunesse d'aujourd'hui. Décrivant une époque difficile, son livre rappelle qu'il y a moins d'un siècle sévissait la tuberculose (« les jeunes tombaient comme des mouches » se souvient-elle), que la grippe espagnole faisait des ravages épouvantables, que les suicides pour des rages de dent que l'on n'arrivait pas à soigner n'étaient pas rares. Et qu'il y a quelques décennies, la civilisation occidentale était celle de la plus épouvantable extermination qu'ait connu l'humanité. « L'un de mes buts est de montrer aux jeunes d'aujourd'hui la différence, mais aussi de les encourager au combat. Je pense que l'adolescence est là pour apprendre, pour amener quelque chose de nouveau, mais surtout pour combattre. Elle doit combattre les idées régnantes de son moment à elle. Mais quand je vois cette bande avachie devant Loft story, je suis effrayée. On embrigade les enfants non pas dans des guerres mais dans des médiocrités de l'âme, du coeur, du verbe. L'adolescence devrait être la période de la singularité. Ces jeunes du Ille millénaire ont tout à faire. Mais si on l'aborde avec Loft story, c'est une catastrophe. Ils doivent se révolter contre Loft story ! Ils doivent dire nous savons parler, nous savons penser, nous savons aimer à notre façon. Je voudrais les encourager à devenir des personnages à part entière, ayant chacun son originalité, son être et son histoire personnels... Les jeunes ont aujourd'hui beaucoup plus de libertés, de possibilité de voyage. Nous, nous ne savions pas ce que c'était : on faisait 10 km et c'était un voyage ! C'est une chance de pouvoir partir, apprendre des langues, découvrir ».
Ecrivain et peintre franc-comtoise vivant aujourd'hui à Paris, Jeanne Champion a publié 13 romans avant cette autobiographie. « Je ne vois pas comment on peut écrire ses mémoires à 20 ans. Ce serait vraiment tronqué ! Je crois qu'il faut attendre un certain âge et surtout que la famille ait disparu car c'est délicat de parler des gens, de leur montrer une image d'eux qu'ils n'aimeraient peut-être pas voir». Au coeur de l'ouvrage, la figure marquante de sa grand-mère maternelle, « paysanne qui s'est élevée seule, littéraire, hantée par la mort et par Dieu, sans être mystique. C'est elle qui m'a élevée, qui a voulu que toute petite je sache l'essentiel, à savoir que je n'étais pas venue sur terre pour m'amuser, qu'il ne fallait pas aller dans le sens du vent mais contraire au vent parce que c'est comme cela qu'on grandit. C'était peut-être excessif mais j'en suis très heureuse parce que cela m'a donné une structure de caractère qui fait que je me suis toujours révoltée. Et je mourrai révoltée, dans un sens positif, contre le conformisme, la langue de bois, les tricheries, la trahison organisée ».
Le livre s'arrête en pleine guerre, pour Jeanne Champion passage de l'enfance à l'adolescence. Elle pense écrire la suite, période « pire que l'enfance » : « J'étais en usine et je travaillais le soir pour devenir secrétaire. Avec la guerre, le monde m'est apparu tel qu'il était. J'ai vécu dans le ghetto juif à Paris, j'ai vu des arrestations... Puis il y a eu la guerre d'Algérie. Mon père qui avait sauvé des Juifs auparavant a torturé des Arabes ensuite ! Pour un enfant c'est très difficile de comprendre ce qu'est l'homme dans ces cas-là. Les hurlements et le poing levé des communistes m'ont éga-ement marquée. Cela me terrorisait, même si j'ai toujours été pour la défense des faibles ».
S.P.
Commentaires
Afin de poster un commentaire, identifiez-vous.