Mais pourquoi les européens s’intéressent aux cultures aussi lointaines ? “Parce que le manga a des catégories spécifiques pour les clients, il a un esprit plus commercial, et cela les attire” explique Christian Lopez, animateur de l’association bisontine “De la peinture en particulier”. De son côté, Jean-Marc Therouanne, directeur du festival des cinémas d’Asie de Vesoul, estime qu’à chaque génération “il y a un jeu de regard Orient – Occident. Dans les années 70, les adolescents, dont j’étais, ont découvert la culture extrême orientale à travers les arts martiaux et les films populaires dits de karaté avec des figures légendaires comme Bruce Lee ou Jackie Chan”. Et aujourd’hui, ajoute-t-il, “le phénomène manga participe de ce même attrait pour l’Asie”.
Echange entre
Japon et Occident
Bien que l’on situe les origines du manga au début du XXe siècle, ce n’est qu’à la fin de la 2e guerre mondiale qu’il devient une véritable industrie. Le premier manga considéré comme tel date de 1902. Il s’agissait d’une histoire dessinée par Rakuten Kitazawa, où l’auteur a repris le thème de “L’arroseur arrosé”, une des premières fictions cinématographiques des frères Lumière. Ces mangas ne correspondaient pas encore à ceux d’aujourd’hui, mais ressemblaient plus aux BD occidentales.
A la fin de la guerre, le Japon s’est retrouvé sous occupation américaine. Le pays, ruiné, cherchait une distraction bon marché qui lui permettait de s’évader. Et cela deviendrait le manga. A cette époque, un “mangaka” – dessinateur de mangas - appelé Ozamu Tezuka et fortement influencé par Walt Disney a essayé de retranscrire dans ses dessins tout ce qu’il voulait rendre à l’écran : des traits et des onomatopées, des plans et des cadrages… Ce style lui a octroyé le titre de “père du manga”. A partir de là, le manga a évolué avec l’apparition de nouveaux genres destinés à des publics spécifiques et en abordant des sujets plus sérieux. Aujourd’hui, il est un phénomène de masse qui touche une part énorme de la population, et qui est arrivé en Europe en grande partie grâce à l’influence des films d’animation et séries basés sur la BD nippone. Dragon Ball et Astro boy se trouvent parmi les plus connus en France. Par rapport aux oeuvres écrites, le premier grand succès arrive avec la parution d’Akira, en 1989, en sens de lecture française, suivi par Dragon Ball en 1993, Candy, Olive et Tom..., des héros aux traits parfois “européens” comme Candy ou Heidi, mais bien produits par des Japonais. Après la télé et la BD, cinéma et jeux vidéos ont suivi.
Le type d’histoires, toujours pensées par rapport à ceux qui vont les lire, influe également. Les idylles et la fête pour les adolescents, le sport pour les jeunes garçons, l’amour passionnée pour les femmes… “Au Japon, le mot auteur a moins de sens qu’en France. Là-bas, ils pensent plus à ce que le public veut”, affirme Christian Lopez. Pour cette raison, le manga est considéré au pays du soleil levant comme un produit de grande consommation et par conséquence, la qualité des oeuvres et leur prix s’en ressentent. Ce facteur commercial a permis de conquérir le marché occidental (les mangas représentent 45 % du chiffre d’affaire du secteur mondial de la BD) et le français en particulier : en 2006, le plus grand importateur de mangas du Japon était la France avec 13 millions d’exemplaires. Une des dernières séries à triompher ici a été “les Gouttes de Dieu”, un manga axé sur une famille japonaise dédié à la viticulture.
Des séries très longues
L’objectif plus commercial engendre une différence entre la BD occidentale et le manga. “Pour les collectionneurs, c’est mieux d’acheter une belle bande dessinée à couverture cartonnée”, note Estevan Grandjean, qui travaille au magasin BD Fugue de Besançon. Il explique que le public est plus limité pour le manga que pour la bande dessinée traditionnelle, en partie à cause du sens de lecture japonais (de droite à gauche et de la fin au début), qui rend difficile la lecture aux plus âgés. La “japanimation” (des films d’animation extrême orientaux) est aussi plus attractive pour les jeunes, remarque Jean-Marc Therouanne : “à Cinémas d’Asie nous avons sensibilisé les 15-25 ans en programmant de la “japanimation”. Beaucoup de jeunes m’ont dit que cela donnait au festival un côté branché”. Pour les 15 ans du festival (10-17 février 2009), il a programmé 3 films de ce type : “Ken, l’ère de Raoh”, “Amer Béton” et en avant première “Piano Forest”. La projection du film remettant au goût du jour le héros Ken le survivant rappelle que ce fut l’un des premiers personnages de manga japonais à séduire les jeunes occidentaux, dans les années 80. Le manga a un avantage sur les dessins occidentaux : le prix. Les 6-10 euros que peut coûter la BD japonaise sont clairement inférieurs aux 10-15 que l’on demande pour une occidentale. C’est l’une des raisons pour lesquelles les lecteurs de manga commencent plus tôt - environ 7 ans - et s’arrêtent à la trentaine. Et pendant que la passion dure, ils restent «fidèles», explique Estevan Grandjean : “Les séries de manga sont très longues, elles peuvent arriver à 50 volumes, avec un volume tous les 2 mois”. L’influence de la télé se fait remarquer chez les “otakus” (adeptes du manga) européens, surtout ceux qui essaient de transformer leur passion en créativité aux ateliers de dessin. “Ils aiment les personnages et veulent les copier, mais il faut qu’ils construisent quelque chose par eux-mêmes, qu’ils réfléchissent. C’est cela le but de l’atelier : les faire sortir un peu de la fascination”, expose Christian Lopez. Pendant l’été et les vacances scolaires, l’association “De la peinture en particulier” organise des stages de manga et des leçons ponctuelles pendant toute l’année. Peut-être qu’un jour ses élèves figureront parmi les plus célèbres mangakas français, comme Jenny, Philippe Cardona et Reno. Des mains occidentales qui dessinent des traits asiatiques.
Júlia Bestard
Commentaires
Afin de poster un commentaire, identifiez-vous.