«Le juge des enfants a deux missions principales : apporter des réponses à la délinquance des mineurs et protéger ceux qui sont en danger moral ou physique. L'idée a été évoquée de séparer ces deux fonctions, en restreignant la mission du juge à l'examen des seules affaires de délinquance juvénile, mais ce serait dommageable dans la mesure où il arrive fréquemment qu'un mineur auteur d'infractions soit également un mineur en danger».
Enfants en danger
«S'agissant des enfants en danger, je suis saisie par le substitut du procureur chargé des mineurs qui me demande d'évaluer la situation et de prendre, le cas échéant, toutes les mesures éducatives qui s'imposent. Je ne suis sollicitée en principe que lorsque l'aide proposée par le Conseil général aux parents a échoué, en raison notamment du refus de ces derniers de bénéficier de toute prise en charge de leur enfant par les services éducatifs.
C'est une sorte de réponse graduée, et il arrive souvent que les situations se débloquent car la justice incarne une représentation symbolique et une autorité supérieures à celles renvoyées par le Conseil général.
Une fois saisie d'un signalement, j'entends systématiquement les parents et les mineurs à l'occasion d'un débat contradictoire fondamental, où chacun a la parole. C'est très important : cela permet de voir comment l'enfant se comporte en présence de ses parents et quelle attitude les parents ont face aux difficultés traversées par leur enfant. L'échange qui s'instaure permet de mieux cerner la relation parents-enfant et d'en comprendre le fonctionnement, même lorsqu'il s'agit de bébés.
À l'issue de l'audience, je peux décider de poursuivre la phase d'enquête pour en savoir plus sur la situation de l'enfant et le milieu dans lequel il vit. Pour cela, j'ai la possibilité de faire des enquêtes sociales, des investigations poussées à l'aide de psychologues, de psychiatres, d'infirmières. Lorsque j'ai suffisamment d'informations et que cela s'avère manifestement nécessaire au développement et à l'épanouissement du mineur, je peux aussi, dès le premier entretien, inviter les parents à adhérer à une mesure d'assistance éducative. Il peut s'agir d'une simple aide éducative à domicile ou d'une décision de placement.
Un placement a d'abord pour but la protection du mineur et intervient si cette dernière nécessite d'extraire le jeune de son environnement. Cela recouvre une grande palette de possibilités, offrant au juge de donner une réponse individualisée, au cas par cas, suivant la situation, l'âge, le profil de l'enfant. On peut envisager un placement à la semaine, un placement séquentiel, voire un placement à domicile qui permet le maintien du travail des éducateurs et de la possibilité d'une orientation vers une structure au besoin. Ce sont parfois les parents qui demandent un placement, mais pas toujours pour les bonnes raisons. Dans une région comme la Franche-Comté, cela représente environ 70 % de notre activité. Le reste concerne la justice pénale».
Mineurs délinquants
«Là encore, j'interviens quand je suis saisie par le substitut chargé des mineurs. Je convoque le mineur et ses parents, obligatoirement avec un avocat, pour vérifier la nature de l'infraction et les charges qui pèsent contre lui. C’est une phase d'enquête au cours de laquelle je l'entends sur les faits et sur sa personnalité. Il est important que cette première audience intervienne vite : elle montre une réaction rapide, elle permet de cadrer les choses, de rappeler la loi. Il y aura une deuxième phase, de jugement cette fois ci, à l'occasion d'une nouvelle audience mais dans un délai suffisamment long pour laisser évoluer le jeune. La justice des enfants se base sur l'ordonnance de 1945, avec pour fondement l'éducatif qui prime sur le répressif. Il est donc important de connaître la personnalité et le comportement du mineur et de sa famille. Par rapport à la justice des adultes, la plupart du temps, les faits sont évidents mais le cas échéant, je peux investiguer comme un juge d'instruction.
Avant le jugement, je peux ordonner des mesures éducatives ou des mesures contraignantes. Les mesures éducatives sont par exemple une réparation de l'infraction ou une prise en charge de quelques jours par un éducateur. Les mesures contraignantes peuvent se traduire par un contrôle judiciaire avec l'obligation de se soigner, de rencontrer un éducateur ou de pointer à la gendarmerie, par un placement en centre éducatif renforcé ou fermé, ou encore par une mesure de détention provisoire au quartier mineur de la maison d'arrêt lorsque toutes les solutions éducatives ont échoué.
Quand on estime que les mesures prises ont eu leur effet - ou au contraire qu'il y a une recul dans le comportement du jeune - on convoque à une deuxième audience. Elle se tient soit dans le bureau du juge des enfants en présence du mineur, des parents, de l'avocat, de l'éducateur, soit de façon plus solennelle au tribunal pour enfants, en présence du parquet, le juge siégeant avec deux assesseurs issus de la société civile. Dans le premier cas, on ne prend que des mesures éducatives, dans le second toutes les mesures et peines prévues dans le cadre pénal sont possibles : emprisonnement, sursis, sursis avec mis à l'épreuve, travail d'intérêt général, amende. Les crimes commis par les plus de 16 ans sont jugés par la cour d'assise des mineurs. Après le jugement, c'est encore le juge des enfants qui fait office de juge d'application des peines et donc qui vérifie l'exécution des peines ou ordonne leur aménagement. Par rapport à la justice des adultes, il y a un suivi d'un bout à l'autre de la procédure par un même juge. Cela s'explique encore par la primauté de l'éducatif sur le répressif et la nécessité de connaître l'évolution de la personnalité du jeune. A 15 ans, on est loin d'avoir fini de se construire. Il y a donc du sens à vouloir aider, accompagner avant de punir».
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