Il y a quelques temps, les spécialistes de l’émission "le Cercle" réunis autour de Frédéric Beigbeder nommaient Supergrave parmi les films marquants de la dernière décennie. "Les Inrockuptibles" dédiaient de leur côté un hors-série entier aux nouvelles comédies américaines, parmi lesquelles bon nombre de teen movies. Des exceptions plutôt suprenantes et opportunistes : généralement critiques et cinéphiles n’apprécient pas le genre. Mais que représente-t-il exactement ? Spécialiste de la représentation de l’adolescence au cinéma, coauteure avec Célia Sauvage de l’ouvrage Les Teen movies, Adrienne Boutang précise les spécificités du genre.
Comment devient-on spécialiste de la représentation de l’adolescence au cinéma ?
C’est parti de mon sujet de thèse qui portait sur la censure dans le cinéma nord-américain depuis les années 90, à la fois dans les cinémas «mainstream» et indépendant. Cette censure porte principalement sur le sexe et la violence. Aux Etats-Unis, les films passent par un système de classification par âge. Je me suis rendue compte qu’il ne s’agit plus vraiment de protéger les enfants, mais que la catégorie qui apparaît la plus angoissante est celle des ados, une catégorie qui est pensée malléable et sur laquelle on projette un certain nombre d’images. Le discours des producteurs et des ligues évoque un public fragile, qu’il faut protéger. C’est un discours que l’on trouvait dans les années 30 à l’égard des pauvres et des immigrants. A partir des années 60, le milieu du cinéma l’a tourné vers les ados en disant «on ne censure pas, on protège» une tranche d’âge jugée à la fois malléable et incontrôlable. Aujourd’hui, on s’aperçoit que les trois quarts des films qui posent problème sont des films plébiscités par les adolescents ou qui s’adressent aux adolescents. Cela se traduit par les mentions R (à voir accompagné d’un adulte) ou NC-17 (interdit aux moins de 17 ans) ou par les sorties en deux versions, «coupée» et «non coupée», la seconde ne passant pas dans les multiplexes ou chez les grands loueurs de DVD avec les conséquences économiques que l’on peut imaginer. Or la plupart des films qui sortent en deux versions sont des films pour ados, à l’image d’American pie.
En travaillant sur ma thèse, je me suis aperçue qu’un bon nombre de cinéastes indépendants, comme Larry Clark ou Gregg Araki pour les plus connus, parlaient beaucoup du monde des ados, sur un mode transgressif. Ensuite j’en suis venue à m’intéresser complètement aux «teen movies» en redécouvrant certains films comme American pie. Puis j’ai donné un cours sur la littérature jeunesse et je me suis prise au jeu. Il faut considérer qu’aujourd’hui, les produits culturels pour la jeunesse ne sont plus pensés pour un seul média. J’ai parfois été agréablement surprise par les livres pour ados. Par exemple Hunger games, que j’ai trouvé plus intelligent que la moyenne et qui va assez loin dans des aspects sombres, voire atroces, qui ne se rattrapent pas à la fin, ce qui est assez rare dans ce genre-là. Je pourrais également citer Le Passeur de Lois Lowry.
Vous considérez le teen movie comme un genre particulier. Comment le définissez-vous ?
Ce sont des films sur des ados, pour des ados, avec des ados et des problématiques d’ados qui sont plutôt «légères». Le principal est que l’on cible un public d’adolescents. Ce qui ne concerne pas tout à fait des films comme ceux de Larry Clark, Elephant de Gus Van Sant ou encore Les 400 coups de Truffaut, qui parlent des jeunes mais qui s’adressent aux adultes «par-dessus» les jeunes. Spielberg non plus ne fait pas de teen movies : il s’intéresse plutôt à l’enfance et certains problèmes de l’adolescence comme la sexualité ne l’intéressent pas. Les teen movies veulent s’adresser exclusivement aux adolescents. Et le rejet des conventions du monde adulte est au cœur des films.
Les cinéastes anglais qui se sont intéressés aux jeunes à la fin des années 60 ou Nagisa Oshima avec un film comme Contes cruels de la jeunesse ne faisaient donc pas des teen movies.
Ils s’en rapprochent parce qu’ils parlent des jeunes mais ils n’en sont pas tout à fait car ils ont un fort caractère social. Le teen movie type extrait tout ce qui est social. Il parle d’adolescents middle-class qui n’ont pas trop de problèmes. Ou plutôt ils ont des problèmes du genre «comment être populaire à l’école» ou liés à la quête de l’amour, à l’accès à la sexualité. Les personnages de Ken Loach n’ont pas le loisir d’avoir ces préoccupations. Dans les teen movies, ces aspects passent à l’arrière-plan. Ils se recentrent sur des problèmes typiquement d’ados de la banlieue des classes moyennes nés dans la société de consommation.
Ces films possèdent d’autres caractéristiques : ils sont incroyablement répétitifs. Lorsqu’une formule fonctionne, on la reprend. Cela créé un jeu avec les spectateurs qui deviennent très «érudits» dans ce domaine particulier. C’est un cinéma très référentiel, qui joue sur la citation, la parodie, qui incorpore le second degré. A partir de là, il est fascinant d’observer les évolutions à l’intérieur de ces principes.
Peut-on situer l’origine des teen movies ?
Ils naissent en Amérique du Nord après la 2e guerre, quand on comprend que l’adolescence peut être un public de consommateurs et qu’on les cible pour faire des films uniquement pour eux. De manière générale, c’est un cinéma américain. Tous les codes ont été mis en place d’abord dans les années 50 avec le cinéma en plein air, les drive-in, puis dans les années 80 avec le développement des multiplexes. Le genre évoque toujours l’univers des jeunes d’Amérique du Nord même quand il s’exporte. Les codes, les personnages stéréotypés sont repris. On en arrive à voir dans des films français des lycées ressemblant à ceux des Etats-Unis. Prenez Lol de Lisa Azuelos, un rare exemple de teen movie à la française. A un moment, les personnages marchent au ralenti en disant : «on marche comme dans les films américains». C’est explicitement référentiel.
Centré sur les adolescents des années 50 et leurs préoccupations de liberté, La Fureur de vivre est-il un point de départ ?
C’est une charnière, un film culte mais il reste avant tout un film d’auteur, culturellement côté. Il est davantage prédécesseur de Larry Clark que d’American pie. Les vrais ancêtres sont à chercher du côté des séries B et Z et notamment de Roger Corman. Mais par certains aspects, La Fureur de vivre est aussi un antécédent dont il faut tenir compte.
Comment situez-vous Rusty James et Outsiders, deux films de Coppola évoquant la jeunesse des années 80 ?
On est encore dans l’hommage, le regard rétrospectif de l’adulte sur l’adolescence. Mais comme pour La Fureur de vivre, ce regard se rapproche du teen movie par certains aspects. C’est un genre poreux.
Et un genre qui semble plutôt orienté sur le divertissement ?
Oui, c’est un genre commercial et très très peu pensé comme culturel. La Fureur de vivre, c’est un film de Nicholas Ray. La Folle Journée de Ferris Bueller est défini comme un film pour ados. John Hughes n’est jamais considéré comme un auteur. Non seulement il fait des teen movies, mais en plus ce sont des comédies, ce qui est pénalisant pour être considéré comme auteur. Les réalisateurs ont d’ailleurs du mal à sortir de ce cadre. John Hughes n’a pas essayé de faire des films plus «sérieux». Greg Mottola a voulu essayer avec Adventureland mais le film n’a pas eu le succès de Supergrave.
Le teen movie reste-t-il limité à la comédie et au film d’aventures ?
Non, il a s’est développé à travers un grand nombre de sous-genres : comédie musicale, films de danse, fantastique, horreur… Ca fonctionne pour tout : on prend un genre qui marche, on l’adapte aux ados et on en fait 50. Avec parfois des aspects moins légers comme dans le fantastique type The Faculty ou le slasher (NDLR : film d’horreur mettant en scène une bande d’adolescents), où l’on voit apparaître des figures d’adultes menaçants.
Le slasher est un teen movie ?
Totalement. C’est un des genres élaborés dans les années 80. Avec la comédie, c’est le plus significatif du teen movie. On s’adresse aux ados avec l’ajout d’un ingrédient, la violence sur les ados. On peut d'ailleurs difficilement comprendre pourquoi des ados ont envie de voir des ados se faire découper en morceaux. Par rapport à la censure, il faut savoir que la violence pose bien moins de problème que la sexualité. Et si l’on regarde de près, on s’aperçoit que le slasher est un genre réactionnaire. En général, la final girl, la fille qui survit à la fin du film est une fille vierge ou qui n’a pas de scène de sexualité. Dans un slasher, si vous faites l’amour, vous êtes mort.
Par rapport à l’actualité, Hunger games et Star wars sont deux films qui s’adressent aux jeunes, mais tous deux ne sont pas des teen movies.
Star wars s’adresse aux ados mais pas seulement : il vise un public beaucoup plus large, même si cela ne veut pas dire qu’il ne séduit pas les ados. Pour Hunger games, on est en plein dedans car à travers l’histoire, on aborde des problématiques typiquement ado comme celle du premier amour. Le livre, écrit à la première personne pour faire partager la psychologie de l’héroïne adolescente, l’est encore plus.
La littérature jeunesse a-t-elle influencé les teen movies ?
La littérature pour jeunes a émergé à peu près au même moment. Seventeenth summer de Maureen Daly, un des premiers livres pour ados, a été publié en 1942. Autre titre important, Outsiders paru dans les années 60. Mais la réelle émergence, c’est Harry Potter. C'est un vrai déclic à partir duquel on s’est mis à adapter tous les livres pour ados.
Recueilli par Stéphane Paris
En photo
Trois films représentatifs selon Adrienne Boutang :
Pretty in pink, Supergrave et
Beyond clueless documentaire de Charlie Lyne de 2015 qui associe plusieurs centaines de séquences de teen movies.
A lire
Les Teen movies de Célia Sauvage et Adrienne Boutang, éditions Vrin, 140 pages, septembre 2011. 9,80 euros.
40 nunances de teen movies
De La Fureur de vivre à Hunger games : l’ado au ciné, un rebelle au cœur tendre.
La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955)
I was a teenage werewolf (Gene Fowler Jr, 1957)
La Fièvre dans le sang (Elia Kazan, 1961)
Beach party (William Asher,1963)
The wild angels (Roger Corman,1967)
American graffiti (George Lucas,1973)
Halloween (John Carpenter, 1978)
Animal house (John Landis, 1978)
The blue lagoon (Randal Kleiser,1980)
Fame (Alan Parker,1980)
Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985)
Pretty in pink (Howard Deutch,1986)
Outsiders (Francis Ford Coppola, 1983)
Breakfast club (John Hughes, 1985)
La folle journée de Ferris Bueller (John Hughes, 1986)
Big (Penny Marshall, 1988)
Cry-baby (John Waters, 1990)
Boyz n the hood (John Singleton, 1991)
Bienvenue dans l’âge ingrat (Todd Solondz, 1995)
Kids (Larry Clark, 1995)
Clueless (Amy Heckerling,1995)
The Basketball diaries (Scott Kalvert, 1995)
Scream (Wes Craven, 1996)
American pie (Chris et Paul Weitz, 1999)
But I’m a cheerleader (Jammie Babbit, 1999)
Virgin suicides (Sofia Coppola, 1999)
Scary movie (Keenen Ivory Wayans, 2000)
Donnie Darko (Richard Kelly, 2001)
Not another teen movie (Joel Gallen, 2001)
Harry Potter à l’école des sorciers (Chris Columbus, 2001)
Spiderman (Sam Raimi, 2002)
Supergrave (Greg Mottola, 2007)
High school musical 3 : nos années lycées (Kenny Ortega, 2008)
Juno (Jason Reitman, 2009)
Twilight (Catherine Hardwicke, 2008)
Bliss (Drew Barrymore, 2009)
Be bad ! (Miguel Arteta, 2009)
Kaboom (Gregg Araki, 2010)
Spring breakers (Harmony Korine, 2012)
Hunger games (Gary Ross, 2012)
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