Son parcours est affirmé, fléché sur le développement, la coopération internationale et l’agriculture durable, secteurs dans lesquels elle a obtenu 2 masters. L’un à Sciences Po Lille, axé gestion de projets dans le milieu du développement et de l’humanitaire. L’autre à AgroParisTech, intitulé agroécologie, connaissance, territoires et société. Ce qu'elle y a appris, Léa Martinet Jannin l'applique depuis 2022 au Liban, dans une ferme-école nommée Buzuruna Juzuruna ( « nos graines sont nos racines ») (1). « Mes rôles principaux sont d’écrire des projets, de trouver des fonds, de coordonner les activités, d’entretenir les relations avec les partenaires, explique la jeune femme née à Vesoul et qui a grandi à Besançon. Il faut aussi travailler sur le projet associatif, en interne : penser au mieux la gouvernance du collectif, son fonctionnement, les prises de décisions. » La ferme-école est un collectif autogéré qui rassemble « un patchwork d’individus : certains ont 7 ans d’études, d’autres ne sont jamais allés à l’école, certains n’avaient jamais vraiment jardiné, d’autres ont 20 ans d’expérience, certains ne parlent qu’arabe alors que d’autres ne le connaissent pas… » Cette difficulté fait partie de ce qui lui plaît dans ce projet, à savoir « les gens. Des gens super. On a de beaux projets dans tout le Liban, on aide beaucoup d’agriculteurs. C’est un super projet associatif avec un côté humain très fort. ». Son implication prouve son intérêt : arrivée comme stagiaire pour valider son 2e master, elle a poursuivi sa mission comme volontaire avant de prolonger par Stages Monde (2) après avoir entendu parler du dispositif de la Région Bourgogne-Franche-Comté par une amie. « J’aimerais rester mais pour cela, il faut que je parvienne à stabiliser mon poste ».
Etre utile et comprendre le monde
Elle tient au relationnel et aux valeurs humaines. C’est ce qui l’a amenée au Liban, alors qu’elle pensait s’orienter depuis longtemps vers l’Amérique latine. « Cet espace géographique m’attire depuis l’adolescence ! J’y ai vécu, voyagé, fait un stage, puis fait un mémoire sur les Mapuche, un peuple indigène vivant au Chili, donc j’avais commencé par chercher un stage là-bas. Mais je suis tombée sur cette association libanaise qui cherchait quelqu’un en gestion de projet, spécialisé en agroécologie. Finalement, j’avais 5 choix dont 2 en Amérique latine. Ce qui m’a convaincu, c’est la relation humaine plus forte que j’ai ressentie pendant l’entretien. C’était fluide, ouvert, en plus de l’engagement politique et social de Buzuruna Juzuruna et son côté collectif. Le fait que des personnes de nationalités et d’origines sociales différentes créent quelque chose ensemble au-delà des difficultés de la vie m’a plu ».
Elle semble avoir trouvé une voie qui lui correspond alors qu’elle s’était initialement lancée en prépa littéraire puis à Sciences Po dans l’idée de devenir journaliste. « Je me suis aperçue que ce n’était pas vraiment ce que je voulais. J’ai eu un rendez-vous avec une conseillère d’orientation qui s’est apparenté à une séance de psy. Il en est ressorti que j’avais envie de me sentir utile, d’être à l’étranger, de comprendre le monde. Dès ma deuxième année, j’ai pris un cours qui s’intitulait approche pluridisciplinaire du développement ; on y étudiait l’impact des politiques de développement depuis les années 50 (dans le secteur agricole notamment), et en quoi le développement est issu du la colonisation. Cela m’a marquée car on étudiait cela via la vie de Georges, un paysan centre-africain, de manière très concrète. Or mon grand-père était agriculteur et s’appelait Georges. Cette coïncidence a fait boum ! Sérieusement, je pense que mon orientation vers
l’agriculture puis l’agroécologie vient de là, de mes grands-parents, agriculteurs en Haute-Saône, de ma petite enfance, et de ce qu’ils ont pu me transmettre ».
Eviter le volontourisme
Attentive à ses cours, Léa tient à certaines valeurs et surtout à éviter certaines erreurs du développement humanitaire. « Cette formation sur l’humanitaire et le développement nous a beaucoup permis de réfléchir à notre posture en tant que Français à l’étranger et à l’éthique qu’on se doit d’avoir. Il y a toute une réflexion anthropologique sur le développement qui nous a énormément remis en question. Si aujourd’hui je fais ce métier c’est en choisissant avec qui je travaille, dans quel contexte et pour qui et pourquoi. Aujourd’hui je ne me verrais pas travailler pour une énorme ONG internationale ou l’ONU ou autre mastodonte du développement humanitaire car ça ne correspond pas à ce que je veux faire, pas à mes valeurs. Je ne suis pas d’accord avec certaines manières d’intervenir à l’étranger, qui sont très paternalistes voire racistes pour certaines. Pour moi c’est important et j’ai pu le recadrer grâce à ma formation. Le monde de l’humanitaire est un vrai métier avec des vraies réflexions à avoir et aussi beaucoup de limites. J’invite les personnes qui ressentent cette vocation à se renseigner notamment sur le concept du white savior (ou sauveur blanc) qui est largement critiquable et à faire attention au « volontourisme », qui peut vraiment causer du tort aux populations locales. Ça, j’aimerais que plus de personnes en prennent conscience ».
Là où elle est, le risque est faible. La ferme-école se trouve à Saadnayel, dans la plaine de la Bekaa. « On est à 30 km de la frontière syrienne, où vivent beaucoup de personnes réfugiées qui ont fui la guerre. C’est un endroit pas vraiment touristique où beaucoup de Libanais du reste du pays ne viennent pas. Il y a parfois des problèmes d’accès à l’eau, à l’électricité, aux commodités en général. Ce n’est pas paradisiaque, mais ça va. J’ai une maison, un bon groupe d’amies avec qui on va parfois en rando ou en soirée à Beyrouth, à 1 h d’ici. Pour moi, c’est une expérience de vie très forte ».
S.P.
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