En route pour Porto-Novo après une courte nuit passée à Cotonou. Le chauffeur de l’école lance son bolide à toute vitesse sur le bitume poussiéreux, doublant voitures et motos, tantôt par la droite, tantôt par la gauche, sans se soucier des marquages au sol ou des camions qui foncent droit sur nous. Les prières débitées à longueur de journée par les prêtres évangélistes à la radio nous protègent sans doute de ne pas finir en compression César. A travers la fenêtre, je découvre une réalité qui m’était jusqu’alors totalement inconnue et qui m’émerveille en même temps qu’elle me trouble. Je n’avais jamais ressenti un tel dépaysement et pourtant, tout me semble étrangement familier : les vendeurs au bord de la route qui proposent de l’igname, du poisson, des casques de moto, des fruits ou encore du carburant en bouteille, les femmes qui transportent de lourds paquets en équilibre sur leur tête, leur bébé calé dans le dos, les motos sur lesquelles s’entassent trois ou quatre personnes, l’odeur d’essence mal brûlée qui vous prend à la gorge tout au long du trajet…
Après environ une heure, nous quittons momentanément la nouvelle route goudronnée et nous nous engageons sur une piste défoncée par les intempéries. Il est 12 h 30, les écoliers en uniforme, parfois très jeunes, rentrent chez eux en traînant leurs sandales en plastique fluo dans la latérite. En me voyant, certains m’interpellent : yovo ! yovo ! (c’est ainsi que les blancs sont désignés au Bénin).
Un centre qui accueille 600 élèves
Bientôt, on arrive devant l’école. Des bâches sur lesquelles sont imprimées les photos des derniers diplômés de l’établissement sont déployées le long des murs. Plusieurs boutiques appartenant à l’école donnent sur la rue (un salon de coiffure, un atelier de tailleur, une buvette, et bientôt, je l’espère, le studio photo dont je m’occuperai). Elles permettent de former certains élèves et d’assurer une source de revenus au centre. La maison de Raymond, le fondateur et directeur de l’école chez qui je vais habiter durant les cinq prochains mois, se trouve juste en face du centre. Pour des raisons économiques, les murs de la maison, à l’intérieur comme à l’extérieur, n’ont pas été peints. Sur la terrasse de la maison, des tiges en métal dépassent des pylônes en béton armé. C’est la même chose à l’école. Les bâtiments ont souvent l’air inachevés, voire abandonnés, ils sont en réalité en perpétuelle évolution. Raymond, qui a des idées plein la tête et voit toujours les choses en grand, espère bien pouvoir rajouter un étage dès qu’il en aura les moyens. Il y a près de vingt ans, il a commencé dans le salon de sa maison avec son fils Gift et quelques autres sourds du quartier ; le centre accueille et forme désormais près de 600 élèves, de la maternelle à la terminale. A voir tout le chemin qu’il a déjà parcouru, on se dit qu’il n’est pas près de s’arrêter.
Patricia, la secrétaire de l’école et la gouvernante de la maison me conduit à ma chambre. Pour tout mobilier, j’y trouve un grand lit recouvert d’une moustiquaire et une petite table en bois. Au plafond, un grand ventilateur ; au-dessus de la porte, un climatiseur. Au Bénin, il n’y a pas que le climat qui est lourd (35°C, 80 % d’humidité) : il faut s’y mettre au moins à quatre pour bouger le lit, les chaises semblent clouées au sol et même les oreillers pèsent au moins autant qu’un demi-pack de lait !
Solidarité, discipline, travail
En début d’après-midi, ou plutôt en début de soirée, puisqu’ici on dit « bonsoir » à partir de midi, Théophile, un des responsables de l’internat, me fait visiter l’école. Je prends alors véritablement conscience de l’ampleur de la tâche accomplie par Raymond et son équipe ces dernières années. J’arrive d’abord dans la grande cour, recouverte de terre battue, au milieu de laquelle trône un buste doré de l’abbé de L’Épée, inventeur de la langue des signes. A quelques pas, un poteau sur lequel, tous les lundis matins, un élève hisse solennellement le drapeau béninois, tandis que les autres, en rang et par classes, entonnent l’hymne, en français et en langue des signes (à l’école, tout se fait toujours dans les deux langues). Des enfants munis de leur gamelle font la queue devant de grandes bassines dans lesquelles les cuisinières ont préparé le repas : la pâte, composée de farine de maïs, l’igname pilé, le riz ou le manioc sont accompagnés des fruits et des légumes produits dans le potager de l’école.
Les classes sont disposées tout autour de la cour. A chaque fois que nous entrons dans l’une d’entre elles, les élèves interrompent le cours, se lèvent, et commencent le rituel :
- Solidarité, Discipline, Traaa-vail ! Bon-jour Mon-sieur ! Comment ça va ?
- Ça va bien, et chez vous ?
- Ça va bien, meeer-ci !
- Asseyez-vous !
Potager, poulailler et informatique
Après avoir fait le tour de l’école, après avoir vu le potager, le poulailler et le clapier, après avoir vu les différents locaux administratifs et le grand terrain de sport sur lequel les internes étalent leur lessive le week-end pour la faire sécher, nous arrivons finalement à la salle informatique où je passerai la majorité de mon temps au cours des prochaines semaines. Cinq ordinateurs portables, tous donnés par des associations, sont à disposition des élèves qui viennent souvent y regarder des films (les sourds apprécient notamment les films d’actions à gros effets spéciaux ou les films burlesques muets). Dans une grande armoire, je découvre un véritable cimetière informatique où s’entassent les ordinateurs qui ont fini par lâcher après avoir rendus de fidèles et loyaux services dans la chaleur, la poussière et l’humidité. Il n’est pas bon d’être un appareil électronique en République du Bénin.
Le jour de mon arrivée, je fais aussi la connaissance de Paul, ancien journaliste, directeur adjoint de l’école et professeur d’espagnol, à qui je donnerai un coup de main pour les cours du soir dispensés aux internes. Je rencontre aussi Didier, le responsable de la salle informatique, avec qui je vais principalement travailler. C’est un homme menu et toujours souriant qui ne compte jamais ses heures ! Je dois encore attendre quelques jours avant de rencontrer Raymond. Je sens que ce sera un véritable plaisir de travailler en leur compagnie et j’ai hâte que les choses commencent sérieusement !
Loïck Guttierrez
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