Du tir à l'arc, il dit que "chacun peut en faire : même un hyperactif pourra être bon s'il sait se canaliser au moment où il faut". Ce n’est pas son cas. Jocelyn De Grandis affiche plutôt sérénité et décontraction. Lorsqu'il n'est pas à l'entraînement ou en compétition, c'est dans la nature qu'on a le plus de chances de le trouver. "J'adore aller à la pêche, on n'entend pas le bruit des voitures, de la télé mais celui des oiseaux. C'est là que je me réfugie, quel que soit le temps. C'est ma façon de m'évader". Même quand il parle de l'équipe de France, sur laquelle il a tiré un trait à 25 ans seulement, c'est avec calme et recul. L'évocation de ses déboires avec la fédération ne suffit pas à lui faire perdre sa bonne humeur. "J’ai déjà dit ce que j’avais à dire. Il y a eu des changements auxquels je n'adhérais pas et la direction a choisi de ne pas continuer avec ceux qui étaient dans ce cas. J'arrête à mon meilleur niveau sans pouvoir défendre le titre de champion d'Europe". Pas d’amertume : il sait ce qu’il doit à l’équipe de France. Quand il le faut, il sait être reconnaissant, n’oubliant par exemple pas de souligner le soutien que lui ont apporté dans sa carrière la Région et surtout le Département du Doubs. A part le petit regret "de ne pas être écarté pour cause de résultats mais pour incompatibilité d'humeur", le champion d'Europe en salle ne s'étend pas sur l’équipe nationale et préfère positiver, visiblement plus heureux de parler des étapes à venir.
Et d'abord la défense de cet incroyable titre collectif de champion de France conquis cette année avec son club de Torpes, créé par son père en 1992. Incroyable en regard de la taille de ce petit village du Doubs (700 habitants) et d'un club de 35 licenciés qui s’est hissé au sommet avec le plus petit budget de l'élite. Moins si l'on suit la progression des résultats : montée en D1 en 2003, 5e la première année puis 4e en 2004. Jocelyn De Grandis y a pris une part prépondérante même s'il rend l'hommage qu'il sied à ses coéquipiers dont les jeunes Thierry Décamps, 19 ans, Jean-Charles Valladont, 15 ans, et Dimitri Varechon, 17 ans, ces deux derniers étant aussi champion d'Europe par équipe dans leur catégorie (pour être complet sur les champions de France, il faut inclure Jean-Michel Lhommée et le coach Pascal De Grandis).
"Bien sûr, les jeunes ont progressé parce que je suis devant. A l'entraînement, il y a une émulation, ils viennent pour me battre. Mais ils ont leurs qualités et eux aussi sont dans les meilleurs français. Et le titre, c'est aussi une ambiance : on se fait confiance, on s'amuse ensemble sur le pas de tir et en dehors. En championnat, il y a des primes à chaque étape. Je crois qu'on est les seuls à les mettre dans un pot commun pour organiser une sortie de fin d'année ou faire un barbecue avec le club".
Entraîneur de l’équipe suisse,
un nouveau challenge
L'esprit club, la capacité à entourer les jeunes : pas étonnant qu'il ait relevé le challenge d'entraîneur de l'équipe de Suisse. Songeant depuis longtemps à ce genre de rôle, il a déjà passé ses diplômes d'Etat. La proposition suisse est venue à point nommé. "Il n'y a pas d'objectif car on part de rien mais il y a un potentiel. Moi, je me fixe de faire progresser le niveau et de qualifier quelqu'un pour les Jeux". Il lui faudra jongler avec les horaires, mais cela ne l'affole pas. "Qui ne tente rien n'a rien".
Qu'il devienne entraîneur à 25 ans est assez représentatif de son parcours. Maturité précoce, envie d'aller vite ? "Cela a toujours été comme ça. A 20 ans j'étais au niveau international. A 24 j'étais à mon sommet dans un sport où c'est plutôt vers 30 ans. J'ai 8 ans de haut niveau derrière moi et je pense que j'en ai fait plus que je n'en ferai".
S'il a, comme tout enfant, commencé par "fabriquer un arc avec une branche de noisetier", son parcours et son ascension rapide plaident pour le cas de l'élève surdoué. Lui-même avance deux éléments capitaux : son père, lui-même archer, qu'il accompagnait de temps en temps et surtout "le besoin de compétition". C'est d'ailleurs l'absence de compétition qui l'a conduit à arrêter le badminton, l'un des multiples sports qu'il pratiquait adolescent.
"J'ai commencé réellement l’arc vers 6 ou 7 ans. Il y avait peu de concurrence, j'ai très vite été premier. A 17 ans, j'ai intégré l'équipe de France juniors et lors du premier déplacement en coupe d'Europe, en 1998 en Suède, j'ai fait 3e et l'équipe 1re". La compétition le stimule, il n'attend pas pour le prouver : surclassé en seniors l'année suivante, il remporte le circuit national. Une première pour un junior. La suite est plus difficile. "J'ai eu du mal à intégrer l'Insep, son collectif, sa charge d'entraînement. J'ai explosé". Ecarté de l'équipe de France, il ne manque pas l'opportunité d'une seconde chance en 2000, obtenant une 3e place au championnat d'Europe en individuel et par équipe. Avant ses premiers Jeux à Sidney où il goûte l'éphémère délectation d'un record olympique. "C'était mon premier match, je tirais contre un Russe qui avait terminé 4e au championnat du monde. Je m'étais dit que je n'avais pas le droit à l'erreur et pendant une demi-heure j'étais sur un nuage. Ensuite j'ai été battu par le futur champion olympique, mais on était du même niveau. C'était un Australien, il était chez lui, je n'ai pas fait un mauvais match mais peut-être que je m'étais mis un peu la pression". Pour l'anecdote, son record ne devait tenir que 3 h, effacé par un Coréen. Les Jeux, ceux d’Athènes notamment, sont pour l’instant son seul bémol. Mais il en fait une forme de challenge pour les jeunes, de Torpes ou de Suisse : "A l'entraînement, je veux me dire qu’ils vont me battre. Je veux les amener plus haut que moi. Parce que j'ai vécu des choses extraordinaires que j'aimerais faire vivre aux autres".
Stéphane Paris
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