C’est vertical, c’est hors sol, c’est ultraponique (1), c’est en environnement contrôlé et modulable, c'est bio. C’est Farm3, ferme innovante déjà opérationnelle, créée à Pontarlier par Romain Schmitt, 29 ans. Avec lui, déjà 14 salariés, agronomes ou développeurs, travaillent à Paris et Pontarlier pour développer cette ferme du « grow anything, anywhere » : faire pousser n’importe quelle plante, n’importe où. Pour l’instant, ils cultivent des aromates, mais le concept pourra être adapté aux fleurs, fruits et légumes et à toute industrie qui utilise du végétal, comme la pharmacie. Farm3 a déjà reçu des subventions d’Etat pour faire également des recherches sur les arbres. « C’est parti du problème des épicéas et des dégâts causés par le scolyte. Avec le changement climatique, les arbres sont certainement plus fragiles face au scolyte car ils ne peuvent pas affronter à la fois l’un et l’autre. Notre recherche porte sur l’idée de les aider à résister à l’un, en espérant qu’ils aient alors plus de ressources contre le scolyte. »
Pour l’instant Romain Schmitt et son équipe testent les réactions de jeunes chênes au stress. Et pour cela, ils utilisent le cube, l’outil conçu initialement pour faire pousser des végétaux indépendamment de toute condition extérieure. Au sous-sol de sa boutique à Pontarlier, dont l'inauguration est prévue à la fin du mois, Romain montre 3 cubes occupant 15 m2 au sol. Dans ces modules, il peut faire pousser jusqu’à 5000 plantes. Sur toute la hauteur, des étagères accueillent des plants, ce qui permet de gagner de la place au sol. Ils sont nourris directement par les racines, avec des dosages ultra précis.
Le chiffre le plus impressionnant concerne l’eau. « On arrive à en économiser 99 % par rapport à la culture traditionnelle ! ». Les plantes reçoivent au micron près ce dont elles ont besoin. « J’ai vu que la Nasa utilisait un système d’arrosage pour faire pousser des plantes. J’ai demandé aux ingénieurs de trouver comment faire pareil ».
Aujourd’hui, le système est au point. Des logiciels gèrent constamment les besoins en eau, mais aussi en lumière, générée par des leds, en nutriments, en chaleur. Avec ce système, aucune perte. Les cubes en bois et métal sont élaborés pour minimiser le risque de laisser entrer des agents pathogènes. Le cas échéant, il faudrait jeter la production, raison pour laquelle Romain a choisi de fabriquer des cubes de petite dimension. « On cocoone nos plants en ne leur donnant que les bonnes choses, avec zéro pesticide. On les entraîne également à résister au réchauffement climatique ». L’ordinateur peut générer et contrôler n’importe quel climat à l’intérieur du cube, faire varier la température, l’humidité ou n’importe quel autre paramètre, quelles que soient les conditions extérieures. Théoriquement, un cube peut être installé dans le désert ou dans la neige, sur un toit, dans un bâtiment… Les Emirats, le Danemark ou Singapour se montrent déjà très intéressés pour acheter le concept. « Ici, on me parle beaucoup de lumière naturelle, mais dans certains pays, la question ne se pose pas. Pour eux, il s’agit en priorité de sécurité alimentaire. Ici on n'a pas de problème d'eau, on n'a pas conscience des problèmes ailleurs et on a un peu tendance à considérer ce que l'on propose comme un gadget. Les pays intéressés sont des endroits où il fait trop froid ou trop chaud ou alors où il n'y a pas de place. Cela dit, nous travaillons sur une solution avec le soleil. Mais on aura toujours besoin de leds d'appoint pour gérer l'intensité lumineuse ». Initialement, le cube est de toute façon conçu pour pouvoir être installé dans des lieux sans soleil, tels un building, un bâtiment désaffecté, un sous-sol.
Retrouver le goût de la tomate de jadis
Economies d’eau et d’énergie, baisse des coûts d’exploitation par la robotisation (2), production possible toute l'année : Farm3 a tout pour séduire. Même le transport peut être réduit puisqu’un cube peut être théoriquement installé n’importe où. Romain Schmitt rappelle trois chiffres : l'agriculture dans le monde, c'est 70 % de l'eau utilisée, 12 % des émissions carbone, 11 % des surfaces habitables... Un cube vaut 60000 euros et se rentabilise en 5 ans. Modulaire, il peut être vendu à des restaurants, maraîchers et producteurs, mais aussi à des instituts de recherches et des laboratoires.
Tout cela est parti de la tomate. « J’avais le souvenir du goĂ»t de celles de mon grand-père que je ne retrouve pas dans celles que l’on achète actuellement. En 60 ans, on a conçu des plants de tomates qui produisent 5 fois plus mais c’est au dĂ©triment des qualitĂ©s nutritives et gustatives ». Romain a commencĂ© Ă y rĂ©flĂ©chir lors de ses Ă©tudes Ă l’UniversitĂ© de Paris-Saclay en biologie synthĂ©tique, qu’il a poursuivies jusqu’en master. « Je ne critique pas les idĂ©es de rendement agricole de l’époque, car il fallait nourrir tout le monde. Mais je me suis orientĂ© sur deux problèmes : la perte de goĂ»t et de qualitĂ©s nutritives d’une part et le nombre km parcouru par un produit avant qu’il arrive dans notre assiette. Je me suis demandĂ© comment produire au plus près du lieu de consommation et pour rĂ©pondre, je me suis Ă©loignĂ© de la gĂ©nĂ©tique pour aller vers la technologie. Sur ces constats-lĂ , on a crĂ©Ă© le cube ». Les agronomes de Farm3 conçoivent des "recettes" en combinant les paramètres pour enrichir les qualitĂ©s nutritives et gustatives de la production.Â
Les premiers à utiliser les productions de Romain sont ses parents, propriétaires du restaurant Le Tillau, à Verrières-de-Joux. Les restaurateurs ou les particuliers peuvent acheter sur place les plantes cueillies le jour même. Pour l'instant, il y a 6 sortes de basilic, de l'aneth, de la coriandre, de la menthe, du persil, de la sauge, de la moutarde, de l'oseille et la production pourrait s’étoffer rapidement.
Romain a créé sa société en 2019 et s’est installé en juin à Pontarlier après avoir été porté par Télécoms Paris Entrepreneurs. « J’ai envie de rester ici, d’abord parce que la Région m’a bien soutenu et donné de la visibilité et du réseau. C’est une forme de reconnaissance. Mais aussi parce que je préfère largement la campagne et la montagne ».
Stéphane Paris
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