C'est un capharnaüm improbable auquel le qualificatif joyeux s’applique pour une fois à bon escient. Etablis, tabourets, outils et objets divers s’entassent en occupant un maximum d’espace utile. Un peu partout, des luminaires entiers ou en pièces détachées, rénovés ou en attente de l'être. Le lieu leur est dédié. Encore situé à Morre, où il a été créé par André Mouget il y a 30 ans, l'Atelier d'antan est le seul de l'est de la France à faire de la création et rénovation de luminaire, essentiellement de patrimoine. Il y a un an, il devait fermer, André Mouget s’apprêtant à prendre sa retraite. Et voilà, qu’il se lance dans une nouvelle aventure : renommé Atelier des Frères Lumière, il s'apprête à déménager d'ici 6 mois à Ornans.
La raison, c’est l’arrivée inopinée de Laure Oberre (ou Lor, orthographe qu’elle préfère), venue frapper à sa porte il y a un an environ. "Je n'avais pas envie de transmettre l'activité assure André Mouget, c'est un travail très compliqué, une aventure permanente où il faut être tonique et courageux et je suis plutôt individualiste, avec une façon de travailler à la fois chaotique et rigoureuse. Et je ne pensais pas du tout avoir la patience". Têtue, Lor a fini par le convaincre. “C’est une teigneuse. A un moment donné, on ne résiste plus"...
André Mouget a surtout été conquis par un mois de stage au cours duquel il reconnaît qu’une vraie complicité est née. Humeur et humour communs. "Le principal était de s'entendre, c'est obligatoire quand il faut passer 10 h par jour ensemble. La première fois qu'elle est venue, elle a entendu de la musique dans l'atelier et m'a demandé quel chanteur je préférais. Je lui ai dit Thiéfaine ; c'est le même qu'elle. C'est une anecdote mais c'est ce genre de détails qui fait que l'on s'entend, qui permet de créer une connivence. On est attirés par les mêmes univers. Elle est comme moi, désordonnée et sérieuse. Et j'ai senti chez elle une intelligence intéressante pour ce boulot”.
André Mouget est bien placé pour témoigner qu’"elle sait ce qu'elle veut". Lor Oberre a 22 ans et un sourire malicieux qui semble permanent. Originaire de Dijon, elle a suivi une trajectoire rectiligne après le bac : mise à niveau puis BTS arts appliqués "design d'objets" à Strasbourg avant une année turbo monture en bronze au lycée Fillod de St-Amour où elle dit avoir "adoré l'ambiance et l'état d'esprit".
"Le luminaire a toujours été un objectif. Ca allie 3 choses que j'aime : le côté pratique de l'éclairage, un incroyable champ des possibles dans la forme que cet éclairage peut prendre et la nécessité de maîtriser la matière. Au départ, je pensais monter mon truc et créer une collection d’objets pratiques pour les gens. Mais en travaillant avec André, je me suis aperçue que j'avais encore beaucoup de choses à apprendre. A l'école, c'est assez théorique, on n'apprend pas le côté pratique, les astuces techniques, on ne travaille pas avec les contraintes réelles des chantiers.” L'an dernier, elle a obtenu une médaille d'argent au concours du meilleur apprenti de Franche-Comté, pour un chandelier. Aujourd’hui elle sait qu'elle "ne le ferait plus du tout de la même façon".
Elle découvre surtout les contraintes de terrain, la patience du quotidien. En restauration, la rénovation en soi n’est qu’une partie du travail. Photographier les pièces, les démonter, les numéroter et une fois le travail effectué les remonter parfois plusieurs mois après le début du chantier n'est pas une mince affairevsi l’on songe qu’il faut parfois rassembler des lustres de 500 pièces.
Actuellement, les "Frères Lumière" terminent un chantier pour un théâtre équestre au Puy du Fou : "140 pièces et 500 bougies électriques pour éclairer 8000 m2 comme au XVIIe siècle !".
D’après son “mentor”, aucun,chantier ne se ressemble et la part de créativité est importante : “80 % du travail est libre. On arrive dans un lieu, une église, une brasserie et il faut avoir des idées, du goût pour l'éclairer, soit en s'inspirant du style d'une époque soit en s'adaptant à la demande".
Lor a trouvé un moyen efficace d’apprendre en travaillant. Pas tout à fait sous la forme de transmission d’entreprise puisqu'André Mouget a décidé de poursuivre avec elle. “Pour l'instant, je suis stagiaire mais par la suite, il va devenir mon conseiller ou mon assistant !" rit-elle.
Une aventure pour Lor mais les bases sont solides. Elles ont séduit le jury Défi-jeunes qui lui a octroyé l’aide maximale de 8500 euros. La mairie d'Ornans lui apporte également un soutien appréciable en lui offrant des conditions avantageuses pour s'installer au bord de la Loue. Enfin, elle bénéficie d'un stage Proforea financé par la Région pour lui permettre de suivre une formation en gestion.
La rareté de la profession lui donne des gages d’avenir. En 30 ans d’activité, assurant des chantiers dans toute la France, André Mouget dit n’avoir jamais eu à chercher de travail. De toute façon, Lor est déterminée. "C'est la cinquième année que je suis là-dedans. Avec tout ce que j'ai entrepris, je me lance à fond".
Stéphane Paris
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